Bea Tristan
Le déferlement du chant essentiel, insoumis.
« Je me suis levé comme on se lève de table.
Et j’ai laissé mon odeur comme on laisse un pourboire.
J’ai repris mes esprits comme j’ai repris mon blouson.
Et je suis sortie de ta vie comme on sort de prison… » (Mr. Mecano)
Bea Tristan nous est revenue après plus de quarante ans de silence. Et grâce à Bruno Ruiz nous l’avions reçu en plein cœur à la Cave Poésie, elle la plus formidable toupie de l’utopie, elle qui aura tracé pour nous les routes des évasions, des amours en voyages et en virages, d’amours égarés, enfuis ou espérés . Des souvenirs de maisons perdues dans l’enfance, de bâtisses coloniales dans le bleu des souvenirs.
Après son disque « Palissandres » elle vient de sortir son nouveau disque « Mr. Mecano » et le saisissement est encore plus fort. Tout le temps nous remonte et sa voix égrène un blues déchirant, entre énergie et nostalgie.
Bea Tristan est plus qu’une chanteuse. Elle est un road-movie à elle seule. Sa voix qui feule le long de la rouille des jours semble toujours prendre la route. Et la route, mais aussi la tangente, elle l’aura souvent prise. Quand « la carrière » s’ouvrait devant elle, enfant prodige de la chanson, elle suivait ses fuites durables et renouvelables. À peine reconnue elle aura largué les amarres de ce drôle de métier à la fin des années soixante-dix. Sa voix mauve et fauve préférait se lancer dans la canopée de la vie, loin des hypocrisies. Et motarde des rêves elle s’en était allée soulever la lumière de la poussière. Boule d’énergie elle ne pouvait ni plier, ni se plier. Elle est faite de limon sauvage, d’une enfance au milieu des palissandres à Madagascar, de la rage de chanter, de ses voyages et de ses fuites dans l’infini au-delà des chiens errants de nos conforts et désastres.
Et puis elle a roulé si longtemps que finalement elle est revenue devant la grille des chansons, cheveux d’argent, voix de béton. Femme de passage, sans âge, ses textes laissent en nous sillons de vie ardente. Par-delà les épuisements des jours ses chansons sont posées sur nos mémoires, néons dans les nuits, routes du nord qui défilent. Tant de destins, fragmentés, entrevus, se devinent dans ses mots. Comme sur sa moto elle chante sans s’arrêter pour ne pas tomber.
Bea Tristan est intense, tout simplement intense. Sa voix est de l’alcool fort et non frelaté dans la prohibition de notre époque. Blues des rencontres, et des souvenirs de trois fruits confits, bruit de moteur dans sa voix, claquement de portières dans sa guitare, Bea Tristan est un choc, un électrochoc dans la chanson française.
Bruno Ruiz, encore lui, vigie insoumise de la chanson, nous dit ceci sur Bea Tristan : Bea Tristan : « D’abord il y a la femme. Petite. Colossale. Immédiate. Un déferlement verbal. Une tempête immobile. Une énergie sans cesse renouvelée. Ensuite, tout de suite après : la forme. Une sorte de road-movie de deux heures. En chansons s’il vous plaît. J’allais dire en chapitres. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, on est sous le charme, embarqué sur une piste de latérite, quelque part entre un Colorado de vieux film américain et la moiteur d’une Californie imaginée, bien au-delà de la légende, du cliché. Et puis il y a la langue. Suffisamment floue pour que transpire le rêve, incroyablement précise pour nous conduire et nous perdre dans le récit. »
Certes les salles ne sont pas toujours pleines pour rendre hommage à cette Janis Joplin de la chanson française, Elle s’en accommode :
« Au fond du désespoir j’ai toujours souri, parce que je crois aux miracles, aux états de grâce…..je vois ces images du Japon, qui me murmurent l’éphémère de nos vies capitales dans la grande marche de l’univers…..et nous devons nous vêtir de ce paradoxe. Si les salles sont vides en face de moi, elles sont pleines de ces vies balayée ….. je chante en fait devant des milliers de personnes……….. »
Rarement, trop rarement, j’ai eu une telle révélation, une telle ferveur. Écoutez, courez entendre Bea Tristan, auteur-compositeur interprète la plus saisissante pour ceux qui croient encore à des trouées d’espérance et de beauté, d’ailleurs donc. Femme en transe, Bea Tristan, est la porte qui bat en nous, un dernier sanglot parfois, un défi, elle nous délivre du temps qui passe.
Gil Pressnitzer