Grands Interprètes / Vadim Repin-Nikolaï Lugansky
Quelle belle entente entre ces deux artistes aussi magnifiquement doués ! Malgré, ou grâce à leur individualité nettement affirmée, le violoniste Vadim Repin et le pianiste Nikolaï Lugansky forment un duo exemplaire. L’imposante silhouette du premier, l’ampleur dorée de sa sonorité complète à merveille la volubilité et l’énergie polyphonique de son compère pianiste. Ces deux grands artistes russes étaient réunis sur le podium de la Halle aux Grains lors du concert du 17 mars dernier de la saison des Grands Interprètes. Cette apparition commune venait prendre une certaine revanche sur l’accident qui avait empêché Nikolaï Lugansky d’accompagner son compère lors d’un concert donné par Vadim Repin dans le cadre des Grands Interprètes en février 2007.
Inspiré de leur récent et premier enregistrement discographique commun, le programme de leur récital toulousain s’ouvre sur une œuvre qui, paradoxalement, ne figure pas sur cet album. La sonate en mi mineur du très britannique Edward Elgar reste très rare au concert. Si elle ne révolutionne pas vraiment le genre, elle possède une originalité qui réside essentiellement dans l’humour dont elle fait preuve, notamment dans la fantasque Romance qui succède à l’Allegro initial, un peu bavard, quant à lui. Avec ses élans passionnés et ses plages de rêverie, le final Allegro non troppo donne aux interprètes une plus grande liberté de ton.
La seconde partie de la soirée, consacrée à la légendaire sonate de César Franck, reçoit un accueil enthousiaste du public. Un enthousiasme parfaitement justifié par l’engagement personnel de chaque interprète et la grande complicité dont bénéficie cette partition « proustienne » par excellence. Le piano, puis le violon qui lui emboite le pas, ouvrent l’Allegro ben moderato comme en un rêve éveillé. L’Allegro qui suit déchaîne des violences pleinement assumées dans une atmosphère d’angoisse fébrile. Le troisième volet, le plus complexe, suscite l’émotion la plus authentique. Il est en outre admirablement construit, son architecture parfaitement conçue, savamment bousculée par de juvéniles emportements. Et comment ne pas être touché par la naissance du fameux thème que le final portera à son apothéose ? C’est précisément sur le passionnant et passionné Allegro poco mosso que se conclut cette vibrante interprétation saluée par un véritable triomphe de l’auditoire. Deux bis signés Brahms (Danse hongroise n° 7) et Bartók (Danses roumaines) prolongent encore cette belle complicité nourrie d’une énergie à toute épreuve.
Serge Chauzy
Une chronique de Classic Toulouse