Retrouvant « après une courte infidélité » son orchestre du Capitole, Tugan Sokhiev a prouvé une nouvelle fois quel grand chef il est. En ouverture le poème symphonique de Richard Strauss, Till l’espiègle, a surtout été servi par une lecture précise et volontaire permettant à l’orchestre de briller après les quelques mesures de mise en place. L’Orchestre du Capitole comprend de beaux instrumentistes, tous admirablement mis en valeur dans cette œuvre. La lecture du chef est brillante et affirmée. On pourrait toutefois souhaiter d’avantage d’humour dans une partition aux effets parfois faciles. Mais comme mise en bouche, on ne peut rêver orchestration plus brillante que celle de Richard Strauss.
Crédit photo Stéphane de Bourgies
En invité de l’orchestre, Truls Mørk au violoncelle, a apporté une fine musicalité déjà très appréciée lors de sa précédente venue. Le violoncelliste norvégien a une grâce dans son jeu qui fait merveille dans tous les répertoires mais qui dans le délicat Concerto en ut de Haydn nous a subjugué. Le premier mouvement enlevé et apollinien permet aux musiciens de s’accorder sur la priorité donnée à la musicalité non à la virtuosité. Tugan Sokhiev obtient de l’orchestre de beaux phrasés et des nuances subtilement amenées. Le jeu de Truls Mørk est très à l’écoute de l’orchestre, avec des échanges de sourires fréquents. C’est le mouvement lent, Adagio, qui offre la plus pure émotion. L’écoute mutuelle permet des nuances infimes, qui amènent le violoncelliste au bord d’un murmure embrassant le silence. Dans la salle chacun a ainsi retenu sa respiration (et sa toux !). Le tempo hallucinant de vivacité du Final, permet à Truls Mørk un jeu tout en souplesse, sans force superflue, ni virtuosité ostentatoire. Il arbore une palette de couleurs incroyable. Un grand moment de musique est ainsi offert dans ce concerto classique avec une complicité chambriste entre chef, musiciens et soliste. Le violoncelliste est ovationné tant par le public que l’orchestre. Il offre en bis une version a capella du Cant dels ocells de Pau Casals. La délicatesse de la sonorité, la pudeur des sentiments exprimés et l’aisance du geste souverain créent un moment musical rare comme en apesanteur, avec d’infimes nuances aux marges du silence.
En deuxième partie de concert, la quatrième symphonie de Brahms a permis à Tugan Sokhiev d’affirmer des choix inhabituels qu’il a défendu brillement. Si cette symphonie passe pour être automnale avec le coté larmoyant dévolu à cette saison, ce soir elle a été dirigée avec énergie et vigueur à la manière d’un Toscanini. Le rythme est magnifié, les nuances parfois abruptes et les tempi engagés. Dès les premières mesures, la phrase des cordes est douce, mais vivifiée par Tugan Sokhiev et elle frôle le décalage. Puis tout se met en place et le chef reprend la main avec brio. Rien jamais ne sera alangui, ou épris de mélancolie. La force qui émane du premier mouvement brutalise un peu les oreilles habituées à plus de souplesse et de moelleux. Notons que l’acidité des violons sera d’ailleurs une caractéristique un peu trop française dans cette symphonie, avant tout germanique, mais apportant beaucoup de vie. La marche du deuxième mouvement est très bien dirigée par un Tugan Sokhiev grand ordonnateur d’un voyage quasi métaphysique. La pulsation qu’il donne, avance avec une puissance rare. Jamais de mièvre tentative de retard dans cet andante, dont le mouvement avant est irrépressible. Les nuances sont subtilement variées, et les divers groupes d’instruments, même les cuivres, font de beaux effets d’homogénéisation. Les pizzicati apportent un rebondi très dynamique. Puis le troisième mouvement dansant et plus joyeux, devient très puissant sous la direction de Tugan Sokhiev. Il s’éloigne du ländler schubertien pour aller vers une expression de joie supérieure et virile. Les bois jouent magnifiquement le jeu avec audace et engagement. Et les contrastes dynamiques sont comme chauffés à blanc. Vraiment cette interprétation sort des sentiers battus. Mais c’est le final, avec ces extraordinaires variations sur une chacone à la fois hommage et dépassement des anciens maîtres comme Bach, qui va atteindre des sommets. La Cantate BWV 150, dont le final est une ciaccona, est un modèle presque pâle tant Tugan Sokhiev demande de puissance à son orchestre. La partie centrale de ce dernier mouvement, avec son superbe solo de flûte, atteint au sublime (François Laurent y est magnifique de timbre et de longueur de souffle). En des gestes généreux, le chef sans baguette, semble s’envoler en apesanteur. Ainsi le public ose s’abandonner complètement à la force de cette partition complexe, monument d’intelligence et de sensibilité. Les nuances si creusées et la construction d’un son dense puis aérien mettent en lumière les audaces de ces variations grandioses.
crédit photo:Patrice Nin
Ce choix interprétatif si surprenant, est porté à bout de bras par un très grand chef. Tugan Sokhiev offre de cette quatrième symphonie de Brahms une version à la puissance rare très originale, qui en renouvelle l’écoute de manière vivifiante.
Hubert Stoecklin
Toulouse. Halle aux Grains. Le 25 février 2011. Richard Strauss (1864-1949) : Till Eulenspiegel, op.28; Joseph Haydn (1732-1809) : Concerto pour violoncelle n°1 en ut majeur, Hob.VII b1; Johannes Brahms (1833-1897) Symphonie n° 4 en mi mineur, op.98 ; Truls Mørk: violoncelle ; Orchestre National du Capitole ; Direction musicale : Tugan Sokhiev.
Article du premier mars sur Classiquenews.com