Sous l’impulsion de son directeur et violon solo Gilles Colliard, l’Orchestre de Chambre de Toulouse se plaît à emprunter les chemins de traverse. Son répertoire ne cesse de s’élargir, du baroque au contemporain, sans négliger les passerelles vers les mondes musicaux les plus divers. Le 18 janvier, la phalange toulousaine invitait un artiste inclassable et dont la liberté d’exercice de la musique n’a pas de limite, le compositeur et accordéoniste Richard Galliano.
Une Halle aux Grains pleine à craquer accueillait ainsi chaleureusement, aux côtés de l’invité d’honneur, le trompettiste Bernard Soustrot et l’organiste Jean Dekyndt, dans un programme ouvert et divers. La Suite espagnole, d’Isaac Albeniz, dans une transcription pour trompette et cordes, ouvre la soirée sur cette musique au parfum ibérique revendiqué. Les titres des trois parties qui la composent : Asturias, Cadiz et Sevilla, en attestent avec vigueur. Habilement détaillée par la trompette de Bernard Soustrot et les cordes de l’OCT, cette version orchestrale de l’original pour piano possède un petit côté « Aranjuez » dans la transcription qu’en avait réalisée jadis Miles Davis. Gilles Colliard est ensuite le brillant soliste de deux des fameuses « Estaciones porteñas », ces Saisons si profondément évocatrices de la rue de Buenos-Aires, signées Astor Piazzolla, dans l’arrangement ingénieux de Leonid Desyatnikov. L’Hiver, nostalgique, inquiétant, tragique même, évoque cette force irrésistible que véhicule l’essence du tango. Grinçant, dans tous les sens du terme, dramatique et violent, le Printemps, malgré une subtile allusion à Vivaldi, reste bien éloigné de la vision idyllique du monde baroque. Gilles Colliard et ses musiciens pénètrent l’œuvre au plus profond, n’hésitant pas à « enlaidir » leurs sonorités pour en extraire l’expression juste.
Le compositeur et interprète Richard Galliano occupe toute la seconde partie de la soirée. La virtuosité extrême de son jeu, l’investissement qui reste le sien tout au long de sa prestation confèrent une intensité particulière aux partitions exécutées. Opale concerto porte à incandescence la sensibilité des interprètes. Une prodigieuse richesse du rythme nourrit les trois mouvements de cet authentique concerto, au sens classique du terme. Les étonnantes cadences confèrent toute sa noblesse à l’accordéon soliste. Les téléphiles reconnaissent avec amusement, dans le troisième volet, le célèbre générique de P. J., la série policière française, qui prend ici un caractère profondément tragique. Le bis que Richard Galliano annonce ensuite suscite l’émotion justifiée du public. Il s’agit du tendre « Tango pour Claude », composé à l’intention de son ami Claude Nougaro. C’est sur une note plus détendue que s’achève le concert. La Suite méditerranéenne, composée par Richard Galliano à la suite d’une croisière qu’il animait avec ses deux complices, Bernard Soustrot et Jean Dekyndt, prend des allures de vacances. Les trois solistes ménagent un beau moment d’intimité musicale dans un deuxième mouvement nostalgiquement évocateur du fameux aria de la suite en ré de Johann Sebastian Bach… La détente solaire conclut l’œuvre et la soirée sur la profonde respiration d’une joie retrouvée.
Serge Chauzy
Une chronique de classictoulouse.com