INTERVIEW – Paul Besson publie son premier roman, Paris-Saint-Denis, aux éditions J.C Lattès, et raconte avec lucidité et force un quotidien qui sort des sentiers battus. Une lecture politique et poétique !
Quitter Paris pour s’installer à Saint-Denis, à priori, cela n’a rien de charmant. Or, c’est le cas de Paul et Carine qui, pour des raisons économiques – Paris étant touchée, comme de nombreuses métropoles, par la crise des loyers – doivent trouver un logement plus accessible. La réalité s’impose vite au jeune couple qui n’a pas le choix et doit revoir leurs prétentions à la baisse. Mais Saint-Denis !? Au départ, cela est vécu comme un échec, une dégringolade sociale. Et pourtant. Au fil des pages, au fil des escapades, Paul découvre une vérité autre. Bien-sûr, il n’échappe pas aux clichés qui nourrissent les journaux, mais il découvre surtout une diversité et une richesse qu’il ne croyait pas possible.
Le roman alterne des chapitres courts, comme des photographies, qui racontent des lieux, des individus, des errances, des souffrances aussi. Le tout avec un phrasé sans détour, sans fioriture. Le langage est sec, cash même, et donne encore plus de caractère au texte. Ce qui est sûr, c’est que ce texte ne manque pas de poésie, à ne pas confondre avec angélisme, car l’auteur ne se censure jamais.
Paul Besson nous parle de son expérience à Saint-Denis et de l’écriture de son premier roman.
« Saint-Denis est une des plus vieilles villes de France. C’est aussi, dit-on, l’une des plus dangereuses. Ce n’est pas ce que j’ai vu. J’ai vu de la misère, ça oui, mais j’ai vu du bonheur aussi », voilà comment commence votre roman qui retrace un déménagement de Paris vers Saint-Denis, autant dire d’un univers à un autre. Pourquoi ce sujet ?
Le sujet s’est imposé à moi sans que j’ai grand-chose à y faire. À mesure que les semaines passaient, je me surprenais à observer tout ce que je voyais, très attentivement. J’ai commencé à tenir un journal de la ville, et rapidement j’ai intégré la recherche d’appartement, qui nous avait un peu matraqué pendant 9 mois avec Carine. Je n’ai pas cherché à faire un roman. Il s’est avéré qu’après quelques mois, j’avais un manuscrit, avec les thèmes présents dans le livre. La ville de Saint-Denis, la solitude, la quête de soi, et les habitants de la ville. Le narrateur, par endroit, est un peu idiot, ou buté, ou égoïste, tordu d’angoisses. Je crois que, dans le récit, les habitants de Saint-Denis le rachètent un peu, de par leur présence douce et rassurante. Écrire sur Saint-Denis m’a donné la sensation de faire quelque chose de bien, de valable. J’ai suivi cette sensation.
Vous ne dissimulez jamais les côtés sombres de Saint-Denis, sa violence, sa misère, la drogue, la prostitution, mais vous vous attachez surtout à la vie colorée de cette ville, à son énergie, à sa légèreté, était-ce important pour vous de conserver cet optimisme ?
Plus qu’important, ça s’est fait tout naturellement dans l’écriture qui reflète l’enthousiasme et l’optimiste que j’ai pu ressentir en déambulant dans la ville. Les gens y sont vraiment souriants et engageants, je n’ai rien inventé. Et puis, on parle toujours de la Seine-Saint-Denis pour pointer du doigt ses insuffisances économiques, son insécurité, sa criminalité, etc. Personne n’a besoin de moi pour en parler, on est saturé de ce genre d’info. Au cours de l’écriture, j’ai commencé à mesurer l’importance de tenir un autre discours sur cette ville et ce département. C’est au contact des gens de tous les jours que j’ai pu apercevoir une partie de l’identité de Saint-Denis, qui est cette énergie très forte et joyeuse. La ville de Saint-Denis n’avait donc pas vraiment besoin de moi pour l’optimisme, c’est quelque chose que j’ai capté et qui m’a traversé. J’ai essayé de retranscrire fidèlement ce sentiment.
Votre vision de Saint-Denis s’écarte donc de tous les clichés et révèle des surprises, des étonnements au quotidien. Pensez-vous qu’il reste encore beaucoup à faire pour réhabiliter l’image de Saint-Denis et de ses quartiers ?
Les gens n’ont en général aucune idée de ce sur quoi ils parlent et c’est un peu pareil pour moi. Je ne sais pas s’il faut réhabiliter Saint-Denis. La réhabiliter auprès de qui ? L’élite bourgeoise ? On s’en fout, elle n’y mettra jamais les pieds. Vous voyez Bernard Arnault et sa famille aller à la petite pizzéria du quartier prendre une calzone arrosée de vin rouge en pichet ? Ce genre de chose n’arrive jamais. Saint-Denis est une ville pauvre. Elle ne sera jamais réhabilitée aux yeux de la bourgeoisie qui a peur qu’on lui prenne son argent et ses avantages qu’elle a mis plus de 250 ans à construire et consolider. Quant aux classes moyennes, qui ont un peu la trouille de cette ville, ce qui est normal au vu de ce qu’ils en entendent, oui, le travail est encore long je pense. Il touche à des questions très épineuses, comme l’héritage post-colonial et les tensions internes au pays. Personne ne veut toucher à ça. Le seul moyen – Enfin, mon moyen – C’est de parler de cette ville comme d’une ville ordinaire ou il fait bon vivre. Ce qui est le cas, selon l’heure et l’endroit.
Paris-Saint-Denis est un roman souvent nocturne, vos ballades, vos rencontres. La nuit offrait-elle plus de possibilités ?
Oui, pour moi du moins. La nuit, les gens n’ont rien à faire. La journée, ils vont quelque part, ils ont une action à effectuer. Notre esprit n’est pas disponible à la conversation, à la contemplation. La nuit on fait retour, sur soi, sur ce qu’on ressent. On est plus ouvert pour partager ses sentiments. L’obscurité nous protège. Il y a moins de monde, le poids de la civilisation est moins lourd à porter. Les noctambules sont un peuple à part, ils ont besoin de se lier avec des inconnus pour pouvoir s’épancher, et souvent, ils ont aussi besoin d’alcool pour le faire. Pour moi aussi c’était le cas. Et puis les parties que je jugeais intéressantes, inconnues du grand public, ça se passait la nuit. Je n’aurais jamais pu faire la causette à un dealer de crack dans une cage d’escalier à deux heures de l’après-midi. Il est des événements qu’on ne peut vivre que la nuit. À l’époque aussi, je buvais beaucoup, et souvent. Deux, trois fois par semaine, je partais ivre dans la nuit. Il y a donc aussi une raison simplement mécanique à tout cela. Un heureux, ou malheureux (selon l’angle) alignement des planètes
« Je suis devenu libre, Saint-Denis est devenu ma ville. » Vivez-vous toujours à Saint-Denis ?
Non. Nous sommes partis après un an pour nous rapprocher du travail de Carine qui compilait quasiment trois heures de trajet par jour. Nous avons vécu par la suite dans un endroit complètement différent. Ça ne m’a pas plus attristé sur le moment. J’ai toujours eu la bougeotte, j’ai toujours adoré déménager, voir de nouveaux endroits, m’installer dans un quartier. Je retourne parfois à Saint-Denis, pour dessiner, voir Clément et le petit Gaspard. Un jour, j’ai vu que le Monoko avait fermé, et j’ai compris que, déjà, ma vie à Saint-Denis commençait à disparaitre, emportée par le temps.
Photo : Paul Besson © J.C Lattès