En Italie, le 15 août dit Ferragosto, qui coïncide avec le jour de « l’Assomption de la Vierge Marie » dans la religion catholique, marque le début officieux de la saison de vacances, avec des festivités qui remontent à l’Antiquité, liées à des commémorations religieuses et agricoles saisonnières qui fêtaient la paix, la prospérité, la croissance et la fertilité. On le célèbre toujours avec musiques et danses, le Gran Ballo di Ferragosto.
A Toulouse, plus païenne, en ce jour de grosse chaleur, où les Toulousains sont partis à la mer laissant la place aux touristes, il y a un havre de fraicheur, de partage et de convivialité où il fait bon passer les débuts de soirée: la Cave Poésie (1) de René Gouzenne a mis les Pleins Feux sur un duo d’accordéons « déconcertants », Jean-Luc Amestoy (2), que l’on ne présente plus, a invité Claude Delrieu (3) qu’il faut découvrir.
Le programme nous dit : Deux accordéonistes, improvisateurs, accompagnateurs, inventeurs, équilibristes de grands chemins, mêlent les lames de leurs poumons respectifs. Avec ces deux-là, les sons s’entrechoquent, surprennent, rassurent, caressent, vibrent. Décidément, la « boite à frissons » devient un terrain de jeu propice à toute exploration… Doté de touches ou de boutons, l’accordéon n’a d’attache que les courroies qui le lient intimement à son manipulateur.
Le foyer se remplit peu à peu, il y a des touristes anglais et espagnols (pas d’italiens, dommage) et des habitués, on reconnaît des musiciens venus en famille ; il y a même un beau chat nommé (d’après son collier) Glouton, de caresses sans doute, ronronnant sur le canapé rouge. Une belle mélodie de Jan Garbarek flotte dans l’air tandis qu’on sirote une boisson fraiche, et qu’on déguste sur le billet une citation du grand poète berbère Kateb Yacine (1929-1989) : Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion.
La lumière baisse dans la salle pour éclairer les deux musiciens qui s’assoient sur scène avec leurs beaux instruments : on se dit qu’on va voir l’accordéon dans tous ses états.
En tout cas, on se rend compte tout de suite que ce n’est pas par hasard si ces deux musiciens au long cours naviguent de conserve avec gourmandise ce soir.
Ils débutent par deux co-compositions, Vis sans fin et Alors-là qui nous entrainent dans des vagues (du nom d’une autre de leurs co-compositions) de notes de paysages faubouriens à des horizons marins, en passant par des rêveries bleutées.
Il se stimulent l’un l’autre de courses endiablées en ballades mezzo voce.
De Un jour pour 2 mains gauches à Participe présent par exemple, on s’émerveille et l’on sent quel plaisir ils ont eu à créer ensemble ces compositions; très écrites au départ, elles laissent la place aux improvisations, allant même jusqu’au free accordéon, si l’on peut dire; leur récital porte bien son nom: Déraison concertante.
Comme l’écrivait Paul Verlaine (que j’ai déjà cité à propos d’Amestoy) :
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
De temps à autre, ils glissent un clin d’œil au brésilien Luis Americano (Tocando pra voce) ou à l’afro-américain Thelonious Monk (Straight no chaser).
Sans oublier une version déjantée d’Arièjo ô moun pais de la très regrettée Rosina de Pèira (4) qui vient de nous quitter : monté sur sa chaise, après avoir bricolé son pied de micro pour le hisser à bonne hauteur, Claude Delrieu révèle le clown qui sommeille en lui, la chante façon ténor tandis qu’Amestoy assure la mélodie.
Deux compositions de celui-ci, Fandango ou presque et Bled, en rappel, viennent confirmer, encore une fois, quel mélodiste il est.
Ce soir j’en oublierais presque le proverbe piémontais, Agosto annunzio inverno, Août annonce l’hiver : c’est vraiment l’été en pente douce à la Cave Poésie!
Et ça continue la semaine prochaine avec Grand Orphéon (5), toujours avec Jean-Luc Amestoy : accordéon, et Cécile Grabias : flûte, Laurent Guitton : tuba, Nicolas Calvet : contre-ténor vocaliste, dont je vous ait déjà dit dans cette chronique tout le bonheur que j’ai eu à les écouter l’été dernier à la Chapelle de l’Hôtel Dieu dans le cadre du Festival Passe ton Bach d’abord.
A ne rater sous aucun prétexte !
A la Cave Poésie, la musique vivante s’est installée comme une princesse et ça fait un bien fou..
E.Fabre-Maigné 16 VIII 2019
Pour en savoir plus:
- La Cave Poésie de Toulouse 71 rue du Taur métro Jeanne d’Arc 05 61 23 62 00 www.cave-poesie.com
- Jean-Luc Amestoy : Après des études de piano au conservatoire de Toulouse et l’obtention d’une licence de musicologie, il s’oriente vers la musique vivante et se met parallèlement à l’accordéon. Il apportera énormémént à deux figures marquantes de la scène toulousaine, entre autres, Eric Lareine, puis Bernardo Sandoval, avec lequel il enregistrera les musiques des films en particulier« Western » de Manuel Poirier (César de la meilleure bande son et du meilleur film). Avec les membres du groupe Zebda, il participera à la création du collectif « 100% Collègues » et à l’enregistrement du disque « Motivés ». Il a accompagné Vicente Pradal dans le « Romancero gitano », Magyd Cherfi, ainsi qu’Hakim et Mouss dans « Origines contrôlées », etc. Depuis il multiplie les expériences musicales en les irriguant de sa parfaite connaissance de la musique et de son grand talent. Parallèlement, il écrit et enregistre de la musique de spectacles pour enfants et enseigne à Music Halle…
- Auteur, compositeur, interprète, Claude Delrieu met en scène son propre rôle. Avec son accordéon, il pratique l’humour décalé avec aisance. Tel un funambule marchant sur un seul fil, il est capable de tourner autour d’un seul mot en emmenant son public où il veut et pour longtemps… Authentique exagéré, provocation détournée, humour décalé ou dérision réaliste sont les ingrédients de cette musique aux racines diverses et inattendues. Il suit un cheminement très intuitif allant du rock patois (groupe tric trac) à la chanson (album solo « tes lapins »),en passant par la musique classique (duo Delrieu Pagès) ou improvisée (Duo « Dos à Dos » avec Philippe Gelda). Il croise, accompagne, partage des spectacles avec : Jean Pierre Beauredon, Michel Vivoux, Loïc Lantoine, Eric Lareine, La compagnie des musiques à Ouir etc..
- Rosina de Pèira (1933-2019)Tout le monde la connaît, dit-on. Et pourtant je suis sûr qu’elle n’a pas fini de nous étonner. Son CD « ANUEIT » est sans aucun doute le nouvel événement dans le milieu musical toulousain occitan et, nous en sommes convaincus, européen et mondial. Car ce nouveau CD est à la fois le fruit d’une longue gestation et une nouvelle tentative musicale. ROSINA n’a jamais cessé d’ouvrir des voies nouvelles. Elle devient auteur compositeur. La seule chanson traditionnelle est le « SE CANTA » hommage à la culture dont elle est l’une des plus brillantes représentantes. Le reste, ce sont ses propres textes et mélodies, si on excepte deux textes de LOUISA PAULIN, dont l’un lui permet de renouveler le magnifique « som som » et un texte de Fulbert CANT. Je soulignerai d’une part sa fidélité à sa culture de référence tant au niveau des textes, que des mélodies et des rythmes et d’autre part la modernité de la démarche jusqu’à la tentative à la fois déconcertante et époustouflante de AJUDA dont le texte est un appel au secours et la musique une illustration de cette angoisse fondamentale qu’elle tente d’exprimer, cette chanson ne manquera pas d’en étonner certains et d’en fasciner beaucoup.
- Du 20 au 24 août à 20h30, Grand Orphéon vous invite à un voyage musical dans un univers coloré, loin des barrières et des clivages stylistiques. Ce quartet à l’instrumentation atypique propose une palette sonore inédite, entremêlant musique classique, jazz, musique populaire et compositions originales. Fruit d’une longue amitié entre plusieurs grand·es musicien·nes de la Région, Grand Orphéon se promène librement et joyeusement sur les routes de toutes les musiques… Tarifs : 6 > 13 € | Pleins Feux