Fondateur du Théâtre de l’Aquarium, ancien directeur des CDN de Montpellier et Toulouse, le metteur en scène Jacques Nichet est mort lundi 29 juillet, à Toulouse.
Né à Albi, en 1942, Jacques Nichet s’est éteint à Toulouse, au matin du 29 juillet 2019. Agrégé de lettres classiques, il a fondé une troupe universitaire en 1964, l’Aquarium, alors qu’il était encore étudiant à l’École normale supérieure. En 1972, à l’invitation d’Ariane Mnouchkine, il devient l’un des membres fondateurs du Théâtre de l’Aquarium, à la Cartoucherie de Vincennes, au sein d’un collectif d’une quinzaine d’artistes – parmi lesquels Jean-Louis Benoît et Didier Bezace. Débute alors l’une des grandes aventures du théâtre français au service d’un art politique à la fois joyeux et expérimental. Jusqu’en 1980, Jacques Nichet participe à douze réalisations, dont « Marchands de ville » (1972), « Ah Q » de Jean Jourdheuil et Bernard Chartreux, d’après Lu Xun (1975), « La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras » (1976), « Correspondance » (1980).
Réalisateur du court métrage « le Collectionneur » (1981) et du long métrage « la Guerre des Demoiselles » – tourné en Ariège en 1983 –, il assure à Montpellier la direction du Théâtre des 13 Vents, Centre dramatique national du Languedoc-Roussillon, de 1986 à 1998, date à laquelle il rejoint le Centre dramatique national de Toulouse après la construction du Théâtre de la Cité. Très attaché à défendre des textes du monde entier, il a aussi fondé à Montpellier, avec notamment Jean-Michel Déprats et Jean Lebeau, le Centre international de la Traduction théâtrale qui deviendra La Maison Antoine Vitez – installée aujourd’hui à Paris. À Montpellier, il a mis en scène des auteurs aussi différents que Federico García Lorca (« La Savetière prodigieuse »), Denis Diderot, Javier Tomeo (« Monstre aimé »), Pedro Calderón de la Barca (« Le Magicien prodigieux »), Eduardo De Filippo (« Sik-Sik – Le Haut-de-forme »), Serge Valletti (« Domaine ventre »), Giovanni Macchia (« Le Silence de Molière »), Euripide (« Alceste ») ou Hanoch Levin (« Marchands de caoutchouc »). En 1996, il présente « la Tragédie du roi Christophe », d’Aimé Césaire, au Festival d’Avignon.
Jean Lebeau, qui a partagé pendant 11 ans la direction du CDN de Montpellier avec Jacques Nichet, évoque «une rencontre exceptionnelle: nous nous sommes installés dans le Théâtre de Grammont, un ancien chai aménagé où l’ancien directeur Jérôme Savary avait occasionnellement présenté des spectacles. Avec une équipe que nous avons rassemblée, nous avons construit cette maison qu’il a baptisée Théâtre des 13 Vents. Sa première création, « la Savetière prodigieuse » de Federico García Lorca, a tourné pendant deux ans et a été programmée au Théâtre de la Ville, à Paris, dans une nouvelle traduction de Jean-Jacques Préau. J’ai alors découvert l’homme Jacques Nichet, d’une grande humilité, d’une grande culture et d’une intelligence remarquable. Il était selon moi un grand artiste de cette époque, et plaçait la barre très haut en matière d’exigence. À travers ses créations, il a su entraîner une équipe administrative, technique et artistique dans un parcours commun pour “l’excellence”, comme il se plaisait à le dire. Nous avons constitué, fidélisé et agrandi un public. Ces années furent pour moi une aventure vraiment exceptionnelle !»
Jean Lebeau poursuit: «Nos chemins se sont ensuite séparés, mais j’ai immédiatement accepté de le rejoindre au Théâtre national de Toulouse lorsqu’il m’a appelé pour remplacer Richard Coconnier à ses côtés. Pendant plus de quatre ans à Toulouse, comme à Montpellier, j’ai pu constater la force, la diversité et l’intelligence du travail artistique de Jacques Nichet qui avait l’art de composer des équipes de création. Je tiens à lui rendre hommage d’abord pour ce qu’il m’a apporté à titre personnel, et ensuite à l’artiste et l’homme de théâtre qui a apporté de la clarté, de l’exigence, de la poésie et de la joie à des milliers de spectateurs.» À Toulouse, interrogeant constamment le monde par le prisme du théâtre et de ses poètes, Jacques Nichet poursuit son travail de transmission des écritures contemporaines en montant « le Jour se lève, Léopold ! » de Serge Valletti (1998), « Silence complice » de Daniel Keene (1999), « Combat de nègre et de chiens » de Bernard-Marie Koltès (2001), « les Cercueils de zinc » de Svetlana Alexievitch (2003), « Faut pas payer » de Dario Fo (2005), etc.
Puis, au terme de son dernier mandat de directeur, il décide d’être acteur sur la scène de la grande salle du Théâtre national de Toulouse. Il avouera plus tard, à propos de cette expérience: « »Le Commencement du bonheur », créé en mai 2007, m’a personnellement marqué puisque pour la première fois je pénétrais sur cette immense scène entièrement vide, avec un rôle à jouer au milieu de dix jeunes acteurs et actrices qui m’ont entouré, doyen débutant, avec une telle affection ! J’ai surmonté mon trac pour pouvoir rencontrer ainsi le génie de Leopardi, poète et philosophe, devant un public si curieux et si attentif… Se mettre soi-même au service d’une pensée surprenante et souveraine qui se moque avec tant d’aisance des prétentions et des illusions de l’espèce humaine courant à sa perte donne du sens à toute une vie… Ces dix dernières années m’avaient conduit jusque là ! Désormais, je devais reprendre la route pour pouvoir chercher ailleurs d’autres chemins.»(1)
Artisan d’un théâtre populaire et engagé, il quitte en 2007 le CDN de Toulouse, où il reviendra faire ses adieux à la scène avec « Compagnie », de Samuel Beckett, à l’automne 2018. À propos de ses années passées à la direction du Théâtre national de Toulouse, Jacques Nichet confessait: «Ma fierté, celle de Richard Coconnier et celle de Jean Lebeau (2), celle de toute l’équipe du TNT si compétente, si généreuse, si amicale réside en un seul mot : ENSEMBLE. Nous avons peu à peu réussi à créer un ensemble harmonieux où chacun jouait sa partition. Nous avons lancé un théâtre vivant, joyeux, ouvert à un très large public et trouvant au fil des ans un retentissement national et international. Et ce mouvement artistique ne peut que continuer de plus belle, j’en suis persuadé!».(1)
Le Théâtre de la Cité et le Théâtre de l’Aquarium préparent chacun une soirée pour lui rendre hommage en septembre prochain.
(1) Intramuros mensuel (janvier 2009)
(2) Directeurs délégués du TNT – CDN de Toulouse Midi-Pyrénées
photo: J. Nichet © Vincent Lacotte