L’écrivain, auteur notamment d’Amour noir (prix Femina 1997) et des Derniers Jours du monde (adapté au cinéma par les frères Larrieu), récompensé en 2018 par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, est décédé ce vendredi 15 mars.
Dans notre Dictionnaire chic de la littérature française, paru en 2015 aux éditions Écriture, nous consacrions quelques pages à Dominique Noguez. Les voici.
Écrivain aux multiples visages qui fit ses premiers pas dans les années soixante-dix en publiant des essais très savants, notamment sur le cinéma québécois et le cinéma expérimental, Dominique Noguez s’interrogeait pertinemment sur l’avenir de la francophonie et de la langue française dans La Colonisation douce (sorti en 1991 et réédité en 1998) – langue qu’il a honorée à travers une œuvre aussi imposante que protéiforme. Il a ainsi écrit sur Marguerite Duras et Michel Houellebecq auquel il a consacré en 2003 un essai subtil et malicieux. Un écrivain capable de signer des exercices d’admiration sur certains de ses contemporains, cela suffit à désigner la singularité et la générosité de l’auteur. Dans le genre romanesque, on lui doit le picaresque et doucement mélancolique Les Martagons (prix Roger Nimier 2005) ou Amour noir (prix Femina 1997), l’un des plus beaux romans d’amour des cinquante dernières années. Cependant, dans une bibliographie riche d’une quarantaine de titres, sa veine comique, loufoque, absurde, dadaïste, s’impose naturellement au gré de traités, essais, manuels et autres bréviaires dont les titres ont valeur de programme : Ouverture des veines et autres distractions, Lénine dada, Comment rater complètement sa vie en onze leçons, Vingt choses qui nous rendent la vie infernale…
Dans ce registre farceur et fantaisiste, La Véritable Histoire du football & autres révélations désarçonnera peut-être certains amoureux de ballon rond, mais réjouira les amateurs de curiosités. En moraliste taquin, Noguez a ciselé ici quinze textes qui plongent dans le passé ou se projettent dans le futur pour mieux croquer notre présent. S’il fait remonter les origines du ballon rond du côté de Platon, c’est à un dénommé Victor Pénard qu’il en attribue l’invention en 1645. Un Pénard par ailleurs créateur de trouvailles aussi inutiles qu’oubliées : « le fil à couper le saindoux en cubes, le pèle-poireaux à pédale, la boucle d’oreille lumineuse pour chiens briards, le founix (sorte de pantalon en écorce de hêtre pour adolescents à tendances onanistes), la cruche à trois anses, le pédalon, lointain ancêtre du vélocipède qui ne demandait pas moins de cinq assistants pour rouler, et enfin la chopette, jeu de cartes en métaux divers qui se joue les yeux bandés, chacun des sept joueurs devant reconnaître à l’oreille les cartes de son voisin. » Parmi les autres révélations, on apprend qu’André Gide n’était pas homosexuel, mais qu’il entretint la légende pour échapper à la voracité sexuelle d’une cousine. Qu’il s’agisse des « dix façons pour un écrivain de passer quand même (un peu) à la postérité », de la création d’un Parc Astérix géant près de Dallas, du gouvernement d’union de 2024 ou de « la traite des enseignants en Seine-Saint-Denis », Noguez glisse derrière ses fables, satires et fariboles des observations très contemporaines. On savoure un article du Monde daté du 6 juillet 2021 consacré à « l’oreillage », nouvelle tendance chez des jeunes dont la spécialité est de « couper au couteau à cran d’arrêt les pavillons auriculaires de leurs interlocuteurs de rencontre ». Le rire se voile d’inquiétude. On y est, on y est presque. Chez lui, le non-sens n’occulte pas le sens du réel. Ce touche-à-tout est un styliste à la fois ludique et érudit. C’est un Sollers qui ne se contenterait pas de se regarder dans son miroir et qui travaillerait ses livres, un Richard Millet sans aigreur, un authentique érudit ne se prenant pas au sérieux.
« Un ou deux souvenirs qui ensuite, bien après, vous arracheront des larmes. »
De fait, il ne se prive pas de surprendre comme en 2013, lorsqu’il publie Une année qui commence bien, récit autobiographique sur une passion amoureuse. Pour la première fois, l’écrivain s’aventure sur le terrain de la confession intime en racontant l’histoire d’amour avec un jeune homme rencontré en octobre 1993, histoire qui s’acheva en avril 1999. Faut-il craindre l’étalage d’un « misérable petit tas de secrets », selon l’expression de Malraux que cite Noguez ? Non, car il s’agit d’abord d’une entreprise littéraire voyageant dans la mémoire et le passé, d’un récit personnel accédant à l’universel. Précisons aussi qu’il n’est pas question dans Une année qui commence bien d’homosexualité, mais d’amour et de passion. Le livre est le tableau à la fois précis et impressionniste d’un cœur mis en croix. L’amoureux transi que l’on accompagne dans ces pages pleines d’anciens parfums entêtants, de souvenirs flottants fait penser aux colis sur lesquels on pose l’étiquette « fragile ». « J’ai survécu en cachant ce qui me faisait mal », confie Dominique Noguez en livrant ses « lambeaux d’amour ». Cette introspection et cette mise à nu renouent paradoxalement avec « la dimension bariolée, polyphonique et fraternelle du roman ». Un roman d’amour. Beau et émouvant.
À propos de l’essai Dans le bonheur des villes : Rouen, Bordeaux et Lille, vagabondage primesautier et savant dans les lieux cités, il disait avoir écrit « du triple point de vue de l’autobiographie, de la littérature et du plaisir ». Cela résume parfaitement la manière, furtive et profonde, de l’auteur de Soudaine mélancolie où l’écrivain rassemble aphorismes et pensées autour du beau sentiment de tristesse. Et la mélancolie va bien au teint de Noguez. Qu’on en juge : « Aimer, c’est se fabriquer, avec l’aide plus ou moins consentante de quelqu’un, un ou deux souvenirs qui ensuite, bien après, vous arracheront des larmes. »