La jeune metteuse en scène Jessica Laryennat de la compagnie Ah ! Le Destin, signe un premier spectacle personnel et délicat, à l’Espace Job ce jeudi 31 janvier.
Sur la scène, debout face à nous : elle et lui. Partition posée sur un pupitre. De toute la durée du spectacle, ils n’auront pas de nom, pour que chacun puisse peut être se reconnaître dans leur histoire. L’histoire d’un couple qui avait l’avenir et des projets devant soi. Un couple insouciant qui croyait en la puissance de son amour, plus fort que tout. Plus fort que la mort même. « Partition pour deux âmes sœurs » nous plonge tête baissée et en apnée pendant une heure dans les flux et reflux de jeunes gens ballotés par les épreuves de l’existence, de la naissance de leur union et celle de leur premier enfant, jusqu’à leur déchéance sociale et sentimentale, avec au bout l’espoir, peut-être, toujours…
Issue de la première promotion de la Classe Labo du Conservatoire à Rayonnement régional, Jessica Laryennat signe là son premier texte et sa première mise en scène de théâtre. Un double coup d’essai qui révèle une personnalité à suivre dorénavant. Sa pièce dont le titre sied à cette succession de moments de vie, rythmée comme des temps musicaux, s’ouvre sur un « chant » donnant d’emblée le « la ». Une partition scandée à deux voix qui fait entendre l’enfance de chacun des protagonistes en phrases brèves, en quelques souvenirs, en quelques images. Lui a été élevé en milieu rural, elle vient d’une île plantée de champs de cannes à sucre mais où le soleil ne brille pas pour tout le monde. Et puis, quand leurs deux paroles se rejoignent en choeur, on comprend alors ce qui a conduit ces deux-là à se rencontrer, à s’unir, à se consoler : des mêmes origines prolétaires, une famille nombreuse, une mère au foyer, un père porté sur l’alcool, un même climat de violence familiale – enfant battu d’un côté, incestée de l’autre – et beaucoup de solitude… On nous parle d’un temps « où les photos étaient en noir et blanc », « où il n’y avait qu’une seule chaine à la télévision ». Nous voilà renseignés sur l’âge approximatif de nos deux protagonistes. Ils ont l’âge des parents de la jeune autrice…
Jessica Laryennat ne se cache pas s’être inspirée de la vie de ses propres parents pour écrire cette « partition ». Quel magnifique effet miroir pour celle qui se lance à l’assaut de sa vie et de sa carrière artistique que l’histoire de ces deux êtres à peine eux aussi sortis de l’enfance ! Fort de leur amour et bien qu’acharnées à survivre depuis leur naissance, ces deux âmes soeurs vont se laisser peu à peu broyer par un réel qui ne leur laisse aucun répit et glisser dans une autre réalité qui finira par les aspirer et les marginaliser. Ce spectacle est porté par l’élan et l’énergie de jeunes comédiens à la sympathie immédiate. Qu’est-ce qu’on a envie de les aimer ces deux-là ! Et de les suivre ! La mise en scène a recours aux ruptures de jeu, de rythme, de lumière, de musique et alterne les modes d’adresse, désamorçant sans cesse la tragédie, la faisant éclater pour repartir ailleurs. Elle nous fait vivre les montagnes russes émotionnelles, au diapason de la succession de fausses routes, de mauvaises décisions et de revirements de situations qu’accumule le couple éperdu jeté dans la tourmente de l’existence. Tragi-comédie, « Partition pour deux âmes sœurs » nous renvoie sans cesse à nos propres désillusions face au monde réel, nous rappelant combien la vie est chose aléatoire et le bonheur si ténu. À l’aide de quelques éléments scénographiques et accessoires – objets pauvres ou de récupération – la jeune metteuse en scène convoque nombre d’images qui privilégient le partage intime avec le spectateur, témoin direct de ces batailles que sont parfois nos vies. Bataille qui laissera le plateau sens dessus dessous à l’issue de la pièce. Des moments très forts restent longtemps en mémoire, à l’instar de cette scène où le couple sans le sou, blotti dans un abri de fortune, regarde à la télévision un opéra dont la tragédie à l’écran vient se superposer à celle plus triviale qui se joue devant.
C’est un spectacle qui ne fait pas son malin. Les sujets difficiles comme la déchéance sociale, l’isolement, la dépression, le deuil y sont traités avec une vigueur et une délicatesse remarquables, sans misérabilisme. Les comédiens Clémence Labatut et Florian Pantallarisch y sont totalement convaincants, justes, à hauteur de leurs héros issus d’une classe sociale bien peu représentée sur les scènes de théâtre françaises. Car ce sont bien des héros, ceux qui au bord du monde luttent pour y trouver leur place et y arracher leur part de bonheur.
Longue vie à ce spectacle !
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio Radio
Espace Job
Partition pour deux âmes sœurs
Compagnie Ah ! Le Destin
jeudi 31 janvier 2019 à 20h30
105, route de Blagnac • Toulouse
Tel : 05 31 22 98 72