C’est pour le vendredi 12 octobre à 20h. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse est placé sous la direction de Wayne Marshall, chef d’orchestre déjà venu en ses lieux. C’est l’Ouverture de Candide, opéra de 1956, qui vous accueillera. Elle sera suivie de la Suite symphonique de On the Waterfront. Puis, viendra la Symphonie n°3, Kaddish (1963) pour chœur mixte, chœur de garçons, récitant, soprano solo et orchestre.
Pour l’exécution de cette symphonie-choc qui va remplir le plateau, côtés récitants, nous aurons Leah et Judith, la femme et la fille de Samuel Pisar chargé par le compositeur lui-même d’écrire un nouveau texte. La soprano solo est ici une mezzo-soprano Kelley Nassief, interprète privilégiée de cette symphonie. Le chœur mixte est le Chœur du Capitole dirigé par son Directeur Alfonso Caiani et le chœur de garçons est constitué à partir de la Maîtrise du Capitole.
Effectif détaillé : 4 flûtes et aussi flûte alto, flûte piccolo, 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, clarinette en mi b, clarinette basse, saxophone alto, 2 bassons, 1 contrebasson, 4 cors, 4 trompettes et aussi 1trompette en ré, 3 trombones, 1tuba, timbales, 4 percussionnistes pour de nombreuses percussions, 1 harpe, 1 célesta, 1piano, et tous les pupitres de cordes.
Dans la version révisée de 1977, le kaddish est chanté trois fois : la première de manière angoissée ; la seconde à la manière d’une paisible berceuse par la soprano solo et le chœur de femmes ; la troisième de manière jubilatoire. Le récitant relie ces trois moments.
I. Invocation, Adagio – Kaddish 1, L’istesso tempo – Allegro molto 8’
II. II. Din-Torah, Di nuovo adagio – Kaddish 2, Andante con tenerezza 16’
III. Kaddish 3. Scherzo, Presto scherzando, sempre pianissiomo – Finale, Adagio come nel Din-Torah – Allegro vivo con gioia 18’
C’est une des œuvres les plus personnelles du compositeur et chef d’orchestre qui aurait eu cent ans cette année. Plutôt que “symphonie“, le terme d’oratorio semble bien plus approprié à cet ouvrage original et ambitieux. Bernstein mêle en effet mots et musique retraçant les péripéties de sa relation complexe avec Dieu, de la défiance à la révolte pour finir par la réconciliation. Elle est dédiée au défunt Président John Kennedy, assassiné quelques semaines auparavant.
Concernant le texte écrit par le compositeur pour la symphonie elle-même, et le pourquoi de ces quelques mots sur Samuel Pisar : Ce dernier, né polonais en 1929, fut un avocat international réputé et collaborateur du président Kennedy, écrivain, militant des droits de l’Homme et l’un des plus jeunes survivants de la Shoah, dont il réchappa à l’âge de 16 ans, arrêté à 13. Il est mort le lundi 27 juillet 2015.
« Ceux dont je porte le deuil sont nombreux : mon père, David, torturé, exécuté par balles et jeté dans une fosse, ma mère, Helena, déportée vers la mort dans un wagon à bestiaux, avec ma petite soeur, Frieda, qui avait à peine vécu, mes grands-parents, oncles, tantes, cousins, et tous mes camarades d’école. Pourquoi eux ? Pourquoi pas moi, Seigneur ? »
Cette confession déchirante, est extraite du nouveau texte que Samuel Pisar a conçu pour la partie de récitant de cette Symphonie no 3 « Kaddish » de 1963, révisée en 1977. Et ce, à la demande du compositeur lui-même, texte qu’il ne connaîtra jamais puisque l’auteur ne le termine que dix ans après sa mort. Le compositeur avait confié à son ami qu’il trouvait son livret trop faible car il n’avait jamais souffert, lui : « Samuel, tu as enduré dans ton corps et dans ton âme le chapitre le plus tragique de notre histoire. Tu dois écrire un nouveau récit, ancré à la fois dans ta souffrance et dans ta reconnaissance. » Il faudra les événements de 2001 pour que Pisar se décide à l’écriture du texte demandé par son ami, et adopté alors en remplacement par la famille de Leonard Bernstein.
La création de l’œuvre en Israël à Tel-Aviv en 1963 fut bien accueillie, mais par contre, de façon plus particulièrement délicate aux Etats-Unis quelques mois plus tard. Elle ne fit guère l’unanimité et fut même plutôt brocardée, suscitant agacement et moqueries diverses. On a pu lire : « Le texte original, de Bernstein, était interminable, hâbleur, abusait du style poétique au point de perdre l’essence de la poésie. Surtout, Bernstein se plaçait de façon presque antipathique, car narcissique, au centre du tableau. Même raccourcie, dans une version de 1977, cette prose demeurait le point faible de cette symphonie luxuriante, intrinsèquement métisse dans son mélange des idiomes musicaux (jazz, avant-garde, film catastrophe, comédie musicale). »
Au contraire, si on se penche sur l’écrit de Samuel Pisar, l’écrivain se garde bien de poésie, et c’est pour cela même qu’il saisit le cœur davantage et agrippe les consciences. Par son histoire propre, Pisar sert l’Histoire même. Si Bernstein n’évoquait pas la Shoah, le rescapé la place au centre même de cette adresse à Dieu qu’il s’est décidé à enfin prononcer après les attentats du 11 septembre 2001, ainsi qu’il le confiait lors d’une conférence publique avant le concert. Mais s’il dénonce crûment « le spectre du Jihad » et annonce que « les horreurs du passé rejailliront pour assombrir notre avenir », il tempère son propos de modestie : « Qui suis-je, sinon un humble messager qui a vu un monde s’effondrer, effaré de voir notre monde se précipiter vers une nouvelle chute ? »
Ce n’est pas le Dieu des juifs seul qu’invoque Pisar, mais « notre Dieu commun ». Ce témoignage établit enfin un texte à la hauteur de la musique, en symbiose avec elle. Il est admis de se demander s’il peut être incarné par quiconque autre que Pisar lui-même. Actuellement, ce sont sa femme et sa fille qui ont pris le relais depuis le décès il y a trois ans de Samuel.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole • Wayne Marshall (direction)
vendredi 12 octobre 2018 • Halle aux Grains (Toulouse)