Tugan Sokhiev en sa sublime maturité
Le concert de rentrée à Toulouse allie comme à son habitude les débuts de la saison de l’orchestre du Capitole et un grand pianiste invité par Piano aux Jacobins. C’est ainsi que le public nombreux a fait une ovation au jeune pianiste virtuose Denis Kozhukin.
Son jeu souverain dans le terrible deuxième concerto de Prokofiev est enthousiasmant. Brillant, joueur et fulgurant, le pianiste russe trentenaire ne peut s’oublier. Tant d’aisance dans son jeu, allié à une délicate musicalité ont font un interprète rêvé pour ce répertoire si exigeant. Le duel à fleuret moucheté est parfaitement exécuté par le chef et le soliste. Les pointes d’humour sont pleines d’esprit et l’entente avec Tugan Sokhiev a crevé les yeux. Comme à son habitude le chef russe est un partenaire de choix pour le soliste, attentif à maintenir parfaitement l’équilibre entre piano et orchestre et soutenant du regard le soliste, dans un dialogue constant avec ses musiciens. Cette version rythmiquement enthousiasmante, admirablement phrasée et nuancée, emporte l’adhésion du public qui fait un véritable triomphe aux musiciens. En bis, le Brahms tardif de l’Intermezzo n°1 admirablement phrasé et nuancé par Denis Kozhukin, le range parmi les interprètes romantiques sensibles.
Ouverture de la saison musicale à TOULOUSE
Car Brahms a encadré le terrible concerto virtuose. D’abord avec les Variations sur un thème de Haydn Op.56A. Sonorités somptueuses, rigueur dans la belle construction de l’œuvre portent à un haut niveau cet art de la variation. La souplesse et la noblesse des phrasés et la beauté sonore des timbres, tout met en valeur la grandeur classique de cette œuvre. La passacaille finale est un chef d‘œuvre d’élégance sans âge dont Tugan Sokhiev fait un moment envoûtant.
Après l’entracte la Symphonie n°1 de Brahms en apothéose reste la grande surprise de ce concert. La beauté de l’Orchestre du Capitole, des solistes quasi hallucinés, des cordes profondes et solides, capables de nuances infinies, … il n’est possible que de louer le travail réalisé par l’orchestre tant au niveau des soliste que des pupitres. Cet orchestre joue Brahms à la perfection dans une plénitude sonore incroyable. La soliste la plus remarquable ce soir par une implication inouïe et une densité sonore incroyable est la flûtiste Sandrine Tilly, émouvante comme jamais. Ces collègues, le hautboïste Chi-Yuen Cheng et le clarinettiste David Minetti sont à la hauteur d’un tel engagement avec des échanges chambristes remplis d’émotions. Le cor de Jacques Deleplanque dans ces moments solistes si importants est comme attendu, absolument souverain. Mais jamais les violons n’ont été capables d’être si compacts avec cette souplesse. Les violoncelles dans une chaleur de timbre de la plus belle eau ont ravi le public. Le pupitre des contrebasses mené par D.L Vergnes a été extrêmement sûr et structuré ; avec fermeté et élégance, il a construit une base sublime à ce superbe édifice sonore.
Si les musiciens de l’orchestre ont été si engagés et si sensationnels c’est bien à la direction sensuelle et parfaitement maitrisée de Tugan Sokhiev qu’ils le devaient. Car comment décrire la maturité de la direction de Tugan Sokhiev en restant fidèle à l’enthousiasme qu’il déclenche sur scène comme dans la salle sans paraître excessif ?
LA MAGIE SOKHIEV… A main nue avec des gestes constamment renouvelés, comme par exemple ses points fermés, il sculpte les phrases dans l’air et la musique semble sourdre de ses gestes comme une source intarissable. Les phrases sont vastes, le chant semble inaltérable quand la puissance des accents donne une grande force expressive aux thèmes. La structure est parfaitement mise en lumière par sa direction, chaque mouvement parfaitement développé mais également dans une conscience de toute la symphonie avec un équilibre parfait entre les mouvements. Le final atteignant des sommets de puissance expressive dans une plénitude sonore enthousiasmante. Depuis plus de dix ans, nous suivons l’évolution de ce chef exceptionnel et savourons sa maturité artistique dans ce répertoire si exigeant car les symphonies de Brahms sont défendues par les plus grandes baguettes et depuis longtemps. J’ose écrire que la version de ce soir atteint des sommets absolus. L’orchestre du Capitole peut être fier du chemin parcouru, les Toulousains doivent être conscients d’avoir un chef d’une trempe historique. Les auditeurs à la radio ont pu percevoir la grandeur de ce concert mais la vision de la direction de Tugan Sokhiev à main nue est un véritable poème dont seul le public peut déguster les effets.
Magnifique concert de rentrée qui laisse augurer d’autres moments magiques pour la saison symphonique 2018 / 2019 à Toulouse. Merci à Tugan Sokhiev d’être un si grand catalyseur de talents dans la Ville Rose. Merci à Toulouse d’avoir su l’accueillir et de savoir le garder encore un peu
Hubert Stoecklin
Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 21 septembre 2018. Johannes Brahms (1833-1897) : Variations sur un thème de Haydn, Op. 56A ; Symphonie n°1 en ut mineur Op. 68 ; Serguei Prokofiev (1891-1953) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en sol mineur Op. 16 ; Denis Kozhukin, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Tugan Sokhiev, direction.