Quelle générosité ! Deux sublimes Quintets ! Et tout le reste !
Pour débuter le concert la mezzo-soprano Claire Péron et le pianiste Tristan Raës nous ont fait voyager vers l’Espagne la plus profonde. Celle idéalisée par les musiciens mais aussi celle populaire des affects humains les plus immédiats. La voix de Claire Péron est très agréable et sa diction fait merveille. Elle campe chaque mélodie accentuant le coté populaire y compris en poitrinant ou en altérant son beau timbre à des moments choisis. L’effet est enthousiasmant et le charme de la jeune femme, fleur au cheveu, opère. Tristan Raës est admirable de présence et suggère toute l’ambiance de la terre et de l’air espagnole. L’entente entre les deux artistes est absolument parfaite, nuances, phrasés et jeu avec le tempo sont d’une grande subtilité.
Puis Mi-Sa Yang et Tristan Raëss nous font voyager dans la Russie populaire. L’adaptation pour violon et piano d’extraits du ballet le Baiser de la fée de Stravinski permet une interprétation accentuant le coté populaire des mélodies et les rythmes endiablés. Le jeu de Mi-Sa Yang gagne en force et en profondeur et démontre un tempérament bien plus extraverti. Tristan Raëss lui aussi est plus franchement présent en terme de pâte sonore. La performance est belle car les deux instrumentistes ne semblent par moment ne faire qu’un. Et à nouveau nous apprécions la rareté de l’œuvre pourtant fascinante.
Le Quintet pour clarinette de Mozart est une œuvre d’un sublime captivant que je ne me lasse pas d’écouter. Tout l’amour contenu dans ce quintet semble couler de la clarinette et le quatuor l’entoure et le cajole avec une grande délicatesse. Raphaël Sévère entouré d’amis dont Mi-Sa Yang avec qui il joue souvent est un véritable coq en pâte. Il est d’une présence rayonnante. Son jeu est incroyablement physique. Ce jeune clarinettiste qui sait depuis longtemps quel admirable virtuose il est, est devenu une force de musique pure. Comme une source en trois dimensions qui enveloppe dans une sphère tout ceux qui l’entourent. Fermant les yeux pour mieux sentir et écouter les autres il semble faire corps avec son instrument pour en offrir tout le bois et la terre qui a nourri l’arbre dont est fait sa clarinette. Jouer par cœur est déjà émouvant mais avec cette concentration, cette puissance émotionnelle cela devient inoubliable. Il semble vainc de chercher à savoir si c’est le meilleur clarinettiste du monde, probablement oui, mais ce qui est certain c’est que le son qu’il crée est unique par cette incarnation physique et cette recherche éthique. De plus ses couleurs, ses incroyables nuances et ses phrasés creusés jusqu’à la dernière molécule d’oxygène donnent une puissance émotionnelle unique à son jeu. Le sublime du mouvement lent, l’osmose avec les cordes ne peut se dire autrement : sublimissime. Le trio est plein d’esprit mais c’est surtout le dernier mouvement qui est plein d’humour. C’est un hymne à l’amitié, chacun à son tour écoutant avec ravissement les variations des autres. Je n’ai jamais vu des musiciens montrer avec un abandon corporel aussi sensuel leur admiration pour la musique faite par leurs collègues et le bonheur qui leur est procuré. Cette franchise dans le partage, cette réelle amitié musicale, ne peut mieux se percevoir que dans cette œuvre si humainement fraternelle de Mozart. Le public a été emporté loin et a plané haut avec cette si belle interprétation du Quintet de Mozart.
La deuxième partie nous fait retrouver le sensationnel jeu de Nathan J. Laube sur l’orgue. La puissance dont il est capable, l’introspection qu’il sait y mettre en contraste, sont de grande qualité. La pièce de Franck trouve en lui un interprète doué et pénétrant.
Tout modestement, seul sur scène, le clarinettiste Raphaël Sévère va parachever son portrait de musicien complet. Son choix d’une œuvre absolument contemporaine de Bruno Montovani, Bug (partition de 1999) fait un profond effet sur le public. La virtuosité, l’inventivité et l’audace dont il fait preuve à chaque instant sont sensationnelles. Je ne rajouterai sur la description de sa sonorité unique qu’une chose c’est qu’elle prend une dimension supplémentaire lorsque le clarinettiste est totalement libre de ses mouvements et danse littéralement sur scène. Je crois qu’une autre ère arrive pour la clarinette, un moment plus authentique qui ramène cet instrument à sa force tellurique avec la liberté qu’ose vivre sur scène un artiste comme Raphaël Sévère. Il sait être d’une suprême élégance mais aussi d’une puissance animale foudroyante de beauté. Il paye comptant avec tout son corps sa recherche d’une sonorité si belle et sensuelle. Le public lui fait une véritable ovation.
Pour terminer cet incroyable concert le quintette Op.34 de Brahms va réunir de fabuleux musiciens.
La violoniste Charlotte Juillard en véritable chef d’attaque va insuffler une énergie communicative à tous. Sa puissance émotionnelle, son jeu plein et enflammé sont une vraie merveille. Le deuxième violon, Philippe Chardon, en semble tout ému mais sait tenir sa partie à merveille. Léa Hennino à l’alto va prendre une énergie nouvelle qui lui permet de briller avec un feu sombre et mélancolique. Le violoncelle de Yan Levienois trouve les mêmes accents généreux que le premier violon tout en se rapprochant souvent de l’alto si beau de Léa Hennino (leurs regards complices !) dans la recherche des couleurs et des phrasés. Nous gardons pour la fin le piano symphonique d’Adam Laloum qui met en lumière la richesse harmonique de sa partie et une présence rassurante de chaque instant. Son aisance est confondante, sa manière de veiller sur chacun de répondre à toutes leurs proposition et lui même d’insuffler sa poétique musicalité sont joie pure. La pâte sonore est magnifique toute au service du sentiment. Cette alchimie faite sous nos yeux est un délice qui porte au sublime. Et que dire de la puissance émotionnelle de cette partition quand des interprètes de cette intégrité la jouent ? L’envol vers le sublime en plus du bonheur d’être là ! Quel festival incroyable ! La deuxième soirée atteint des sommets d’émotions. Le public très nombreux exulte.
Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com
Compte-rendu, concert. 4 ieme Festival de Musique de Chambre des Pages Musicales de Lagrasse. Eglise Saint Michel de Lagrasse, le premier septembre 2018. Manuel De Falla (1876 – 1946) : Siete Canciones Populares ; Claire Péron : mezzo-soprano et Tristan Raës : piano ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Divertimento ; Mi-Sa Yang : violon et Tristan Raës : piano ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintette avec clarinette en La Majeur K.581 ; Raphaël Sévère : clarinette ; Mi-Sa Yang : violon ; Philippe Chardon : violon ; Léa Hennino : alto ; Adrien Bellom : violoncelle ; César Franck (1822-1890) : 3 iéme Choral en la mineur ; Nathan J. Laube, orgue ; Bruno Mantovani (1974) : Bug pour clarinette solo ; Raphaël Sévère : clarinette ; Johannes Brahms (1833-1897) : Quintette avec Piano en Fa Mineur Op.34 ; Charlotte Juillard : violon ; Philippe Chardon : violon ; Léa Hennino : alto ; Yan Levionnois : violoncelle ; Adam Laloum : piano.