Compte rendu concert. 26 ième Festival de Musique de Chambre de Salon de Provence. Salon de Provence, Château de l’Empéri, le 30 juillet 2018. Brahms. Quatuor van Kuijk. Le Sage. Couteau. Meyer.
Comme Brahms est aimé à Salon !
Un très généreux concert a ouvert les soirées musicales au Château de l’Emperi dans le cadre du 26 iéme Festival de Musique de Chambre de Salon de Provence. Si la cour du château de L’Empéri n’est pas très vaste ce n’est pas la cour des petits mais des très grands. Agencée sur un coin la scène triangulaire permet de dessiner un parterre de face et de part et d’autres deux gradins. L’intimité nait instantanément dans la belle couleur chaude de la pierre alors que le soleil n’est pas encore couché.
Ce passage vers la nuit entre chien et loup convient admirablement à la musique de Brahms. Dès les premiers accords du somptueux quintette avec piano la longue phrase se développe pour s’amplifier et avec une émotion puissante entraine le public dans cet extraordinaire voyage. Le quatuor van Kuijk est parcouru par une belle flamme romantique. Le premier violon a une sonorité lumineuse et planante. Alto et violoncelle plus modestement présents colorent avec une admirable profondeur ce vaste paysage. Le deuxième violon avec une vivacité de regard d’une rare intelligence fait le lien entre tous les musiciens et semble se régaler de toutes les beautés musicales. Le premier mouvement est traversé par un vaste souffle plein de romantisme échevelé. Le deuxième mouvement Andante permet de découvrir d’avantage les qualités admirables d’écoute et de réactivité des musiciens. Eric Le Sage qui jusque là était simple accompagnateur avec une précision et fiabilité exemplaire est plus présent. Mais, il laisse toujours aux cordes le soin des couleurs et les propositions de nuances, son piano restant comme en retrait. La magie de ce mouvement de haute inspiration envahi la cour alors que la lumière solaire décroit. Les rythmes souples les dynamiques subtiles, les couleurs mordorées des cordes font merveille et la souplesse élégante du piano de Le Sage complète l’harmonie. Le temps est comme suspendu et le déhanchement si délicatement suggéré évoque quelque danse Sud Américaine dans cette chaude soirée. Les syncopes du scherzo raffermissent le propos et la dynamique repart de plus belle. Le final est éblouissant dans sa marche vers une fin hors des tonalités. Le souffle de Brahms a passé comme un vent plein de surprises sur ce merveilleux quintette.
Comme une épure le piano des quatre ballades permet un voyage beaucoup plus intime grâce au jeu plein de sensibilité de Geoffroy Couteau. Cet artiste qui a enregistré une très belle intégrale de la musique pour piano de Brahms aborde ces Ballades avec une sorte de recueillement et beaucoup de respect. La recherche de nuances profondément creusées, le tempo mesuré et la manière d’habiter les silences, avec des couleurs et de phrasés subtilement choisis, offrent une interprétation bouleversante. La poésie brahmsienne se développe et ces pièces de relative jeunesse sont déjà rendues à leur incroyable nouveauté et leur audacieuse composition. Sous les doigts de Geoffroy Couteau, le « jeune aigle » évoqué par Schumann en parlant de Brahms, vole haut, très haut. En poète du piano le voyage aux paysages infinis de variété qu’il nous offre culmine avec un legato de rêve dans la dernière ballade. Moment d’émotion rare en cette lumière déclinante entre chien et loup. Le public ovationne l’interprète si inspiré avec effusion.
Après l’entracte le quatuor van Kuijk revient pour le quatuor de Debussy. Cette œuvre eut un mauvais accueil à sa création mais fait partie aujourd’hui des « classiques » et très aimée du public comme des interprètes. Son originalité est telle que chaque interprétation me permet d’en découvrir un nouvel aspect. Ce soir je trouve que c’est la richesse rythmique que mettent valeur les interprètes. Les couleurs sont belles, les nuances élégantes et les dynamiques très maitrisées. C’est avec plaisir que la personnalité musicale de l’alto se révèle et que le violoncelle laisse un peu sa partition pour d’avantage regarder ses collègues. Le premier violon est toujours aussi lumineux et le deuxième violon peut d’avantage briller tout en gardant ce si beau regard vif et bienveillant, capable de sécuriser une tourne de partition de son collègue avec à propos. Ce jeune quatuor a beaucoup à dire et c’est un plaisir de déguster ses propositions interprétatives.
Pour finir ce concert particulièrement riche le quatuor accueille en son sein la clarinette de Paul Meyer. Le quintette avec clarinette de Brahms va donc terminer la soirée, la nuit est tombée et le jeu d’ombre et de lumière de cette partition tardive de Brahms va enchanter le public l’amenant dans les contrées rêvées de la douce mélancolie de Brahms qui nous ouvre les portes de l’éternité. Paul Meyer rayonne de bonté et les jeunes musiciens du quatuor mettent tout leur art au service de la beauté laissant à la clarinette cette place centrale si singulière. Comme si ce coup de foudre de Brahms pour la clarinette se rejouait sous nos yeux ce soir. Paul Meyer a des sonorités envoutantes de douceur comme de puissance expressive. Ses phrasés sont portés à leur ultime souffle expressif et les attaques peuvent avoir la douceur d’un baiser. Les regards se rencontrent avec bonheur le jeu est millimétré et plein de souplesse à la fois. Les nuances sont poussées très loin et les couleurs irisent la chaude nuit provençale. Ce quintette atteint au plus haut sublime dans l’interprétation de ce soir. Le partage a été total. Le public exulte et fait un triomphe à ces artistes si attachants.
Un magnifique concert ouvre ces nuits musicales dans une promesse de merveilles toujours renouvelées.
Hubert Stoecklin
Compte rendu concert. 26 ième Festival de Musique de Chambre de Salon de Provence. Salon de Provence, Château de l’Empéri, le 30 juillet 2018. Johannes Brahms (1833-1897) : Quintette avec piano en fa mineur, op.34 ; Quatre ballades pour piano, op.10 ; Quintette pour clarinette et cordes en si mineur op.115 ; Claude Debussy (1862-1918) : Quatuor à cordes en sol majeur. Quatuor van Kuijk ; Eric Le Sage et Geoffroy Couteau, piano ; Paul Meyer, clarinette.