Pour son premier long-métrage Jericó, le vol infini des jours, Catalina Mesa propose un délicat portrait de huit habitantes très attachantes de Jericó en Colombie.
Tout comme la ville de Jericó située dans la partie occidentale de la cordillère des Andes, dans le Sud-Ouest du département d’Antioquia, ce documentaire a un charme fou. La réalisatrice met en scène huit femmes, et capte leurs conversations qui retracent leur passé, leurs regrets, leurs drames, leurs joies. La parole est libre, parfois serrée dans la gorge, très souvent rieuse. Elles reviennent sur l’importance de l’école, leur statut d’épouse ou de veuve, de mère, que leurs enfants soient présents physiquement ou non dans leur vie. Comme l’église qui se repère vite dans la ville, chacune entretient un rapport bien particulier avec la religion. « Dieu en a voulu ainsi » ou « j’ai fait une promesse à la Vierge Marie ». Même si deux d’entre elles ont failli être Sœurs, les bondieuseries ou de la bigoterie ne sont pas les bienvenues, à l’inverse de l’espièglerie de cette troisième « je prie les Saints, et après, je me dispute avec eux ».
Les témoignages sont à l’image de leur maison et de la ville toute entière : singuliers et colorés. Car il n’y a pas que leurs paroles que la réalisatrice capte, il y a les objets qui animent leurs maisons : l’aluminium de la batterie de cuisine, les photos souvenirs des voyages, les tissus assemblés, les rosaires. Le piano de Teresita Gómez (quel bonheur !) ponctue ces récits de femmes, toujours dignes, jamais victimes, et ensemble, nous offrent une petite philosophie de vie revigorante : « même si on a 80 ans, tant qu’on a la santé, on peut s’écrier : vive la jeunesse ! »
Je suis contente qu’on ne voit pas que l’ombre de notre culture. Cela fait plus de 15 ans que j’habite en France et je souffre souvent du regard européen sur la Colombie. On voit des images de la violence, de conflits. L’ombre est là, et il faut voir l’ombre pour pouvoir la transformer. Je crois que la vie est une alchimie. Il faut aller avec un peu de lumière pour pouvoir transformer l’ombre. Je suis contente de pouvoir amener un peu de couleur, un peu de vie. Les cadeaux que m’ont donnés ces femmes de réconcilier les opposés de la vie, la douleur et l’humour, la fragilité avec le courage et la force, me resteront pour le reste de ma vie. Elles nous donnent cette joie de vivre, d’être au delà de ces opposés. J’ai envie de continuer de faire des films qui réconcilient la vie de cette façon-là, qui montrent d’autres aspects de l’Amérique Latine, notamment de la Colombie, qui n’est pas que l’ombre.
a déclaré Catalina Mesa lors de la cérémonie de clôture catégorie documentaires de l’édition 2017 du Festival Cinélatino, qui a reçu trois distinctions.
Que ce soit lors des différentes éditions du Festival Cinélatino ou lors des sorties nationales en France, le cinéma colombien ou la Colombie sont plutôt associés aux cartels (Escobar de Fernando León de Aranoa, Matar a Jesús de Laura Mora), la survie (Le Terre et l’ombre de César Acevedo, Los Hongos de Oscar Ruíz Navia) ou à un sentiment de mélancolie (L’Etreinte du serpent) sans préjuger des qualités des films. Le Mexique, le Chili ne sont pas en reste. Il est donc appréciable de rencontrer un documentaire d’une joliesse rare, où les habitantes se confient avec espièglerie et sans éluder les duretés de leur existence, qui donne envie de se rendre en Colombie. Bon voyage !