Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Lundi de Pentecôte à 7h40. Vue depuis mon bureau sur la rue du Languedoc totalement vide et de véhicules. Les commerces sont tous fermés. Spectacle rare. Un vrai décor de science-fiction, digne du Monde, la chair et le diable ou de Je suis un survivant, qui ne m’inspire pas d’effroi, mais plutôt le sentiment de profiter d’un plaisir clandestin. Même sentiment un dimanche pluvieux de juin en déambulant à 8h dans un marché Victor Hugo lui aussi presque désert.
Lu une interview de Serge Roué, directeur du Marathon des Mots, déplorant « la lente, et presque inéluctable, disparition des marchands de journaux » dans notre ville. Je partage ce regret. Internet, les journaux gratuits et un désintérêt grandissant envers la presse écrite expliquent en partie le phénomène. Voici quelques mois, j’avais lu dans le quotidien local qu’il ne restait plus que cinq kiosques à journaux à Toulouse. La disparition des librairies accompagne la tendance : La Bible d’Or, Castéla, Le Hussard bleu… C’est dans cette dernière, fondée place de l’Estrapade par Pierre-André Caleca, que je rencontrai pour la première fois Christian Millau venu présenter son ouvrage Au galop des hussards. Nous évoquâmes son ami Nimier, évidemment, dont le roman avait donné son nom à la librairie. Comment s’appelait celle – assez éphémère – installée rue des Tourneurs à la fin des années 90 et au début des années 2000 ? Le libraire se prénommait Daniel. Sur son gilet, un pin’s arborant un damier rouge et blanc attestait de ses fières origines croates.
Au fait, le TFC a sauvé sa place en Ligue 1. Comme d’habitude. Comme d’habitude encore, il semblerait que le club s’apprête à vendre ses « bijoux de famille » (les jeunes Alban Lafont, Issa Diop, Christopher Jullien…). De bonnes affaires en perspective. Les supporters, déjà en colère, ne vont guère apprécier. On espèrerait presque un investisseur exotique et généreux pour redonner vie à ce club.
Le 16 mai au soir, après la finale de la Ligue Europe au cours de laquelle l’Atlético de Madrid a étrillé l’OM, je croise rue Alsace Franciam Charlot, artiste peintre de son état et fin amateur de ballon rond. Nous échangeons quelques impressions désabusées autour du match en étant d’accord sur tout : comment gagner cette finale avec Anguissa et Germain ? Mission impossible. Avec Franciam, nous avions vu le 28 juin 2012 au Vasco de Gama, place de l’Estrapade, le match Allemagne / Italie qui vit la victoire des Italiens, grâce à deux buts extraordinaires de Mario Balotelli, et par là même leur accession en finale du championnat d’Europe. Après le deuxième but de Balotelli, j’envoyai un SMS enthousiaste à un ami cher frappé par une maladie dont on ne se remet pas. Supporter enflammé de la Squadra Azzura, il a dû alors oublier, le temps du match, ses tourments. Bill Shankly, légendaire entraîneur de Liverpool, disait : « Le football, ce n’est pas une question de vie et de mort. C’est bien plus important que cela. »
Jeanne d’Arc a disparu. Enfin la statue de la place éponyme. Elle doit se refaire une beauté quelque part.
Dîner au nouveau restaurant de Yohann Travostino (Le Solilesse, Glastag) installé au 40 bis de la rue Peyrolières. Les chefs qui multiplient les adresses, ce n’est pas toujours bon signe. Mais ce gaillard a de la ressource. La preuve : ce soir-là, ce fut impeccable. Carte courte (trois entrées / trois plats / trois desserts) et efficace, directe, sans esbroufe et distillant une joie sans arrière-pensées. Prix modestes et service amical. Le nom ? Le restaurant n’en a pas et, a priori, il ne devrait pas en avoir. Ça va être coton pour le facteur…
En me rendant à ce dîner, j’ai croisé Philippe Hugon, l’un de ceux – au gré de longues conversations – qui m’ont donné envie de découvrir le Liban en général et Beyrouth en particulier. Chose faite récemment, mais de façon trop brève. J’ai déjà la nostalgie de ce pays. Les Brésiliens et les Portugais ont la saudade pour désigner cet état de latence, cette douce mélancolie qui n’exclut pas les promesses de retrouvailles. Les Libanais ont-ils une expression désignant leur manière de fatalité souriante ? En attendant de retrouver le Liban, je le bois. Les vins du Château Musar, du Château Marsyas et ceux du domaine des Tourelles – ainsi que son merveilleux arak – me tiennent compagnie. Il faut boire pour se souvenir, jamais pour oublier.
Toutes les chroniques : Toulouse, d’hier à aujourd’hui