Face à l’augmentation de l’homophobie en France liée à la création du mouvement « Manif pour tous », Christophe Honoré s’est senti la responsabilité, en tant qu’auteur homosexuel, de devoir réagir. Cela s’est traduit par la création d’un triptyque : le livre Ton père, où le personnage principal se remet en cause après avoir trouvé sur sa porte un mot l’attaquant sur sa légitimité à être père et gay, la pièce Les Idoles qui reviendra, à la rentrée prochaine, sur les personnalités qui lui ont donné, quand il était étudiant, l’envie d’écrire, de faire du théâtre et du cinéma et qui étaient déjà mortes du SIDA avant son arrivée à Paris, et Plaire, aimer et courir vite son nouveau film actuellement en salles. Je n’irais pas jusqu’à remercier ce mouvement aussi sclérosé que nauséabond d’exister, mais constater une nouvelle fois qu’une telle absence d’humanité ait pu conduire un créateur à engendrer le beau me rassure et m’enthousiasme.
Le mot beauté est d’ailleurs annoncé en toutes lettres au générique de début, à la place de celui de maquillage, lorsque les plans sur les deux personnages principaux alternent rapidement. Le réalisateur replonge dans ses vingt ans afin que le romanesque embrase son vécu personnel. Ainsi, se retrouve-t-il à la fois chez Arthur (Vincent Lacoste), jeune étudiant rennais et directeur de colonie de vacances, et chez Jacques (Pierre Deladonchamps), auteur parisien et père de Loulou (Tristan Farge). Le film les suivra avant, pendant et après leur rencontre, en prenant son temps, sans en perdre, pour présenter leur quotidien : Arthur, qui aime les hommes et tombe amoureux des filles, alors que Jacques se confie à son voisin Mathieu (Denis Podalydès) et ne suit pas ses conseils qu’il sait pourtant avisés. Rien n’est contradictoire pour autant, ni conflictuel.
Quand Christophe Honoré évoque les lieux de drague qu’il fréquentait plus jeune, « plaire, aimer et courir vite » servait en quelque sorte de feuille de route à suivre. Que ce soit à Rennes ou à Paris, la nuit est pleine de promesses. S’il est un des rares cinéastes à savoir filmer les corps et les peaux, il prend ici davantage de recul pour réussir cette fois-ci à capter le désir. Être le désir dans les yeux d’un autre. Les technologies accompagnant le passage au numérique ont certes permis une nouvelle tonalité à la nuit comme pour L’Atelier de Laurent Cantet, mais le travail en 35 mm de Rémi Chevrin lui donne tout son érotisme. Plaire, aimer et courir vite est bleu, et celui de la nuit est électrique et aphrodisiaque. Très loin des performances sexuelles gémissantes, le magnétisme des amants opère : les corps s’attirent, s’appellent, se répondent en silence dans un parking, une ruelle ou une chambre.
Aimantées par le charme d’un premier échange durant une projection de La Leçon de piano de Jane Campion, leurs vies seront irrémédiablement transformées : celle d’Arthur s’accélérera alors que Jacques, atteint du SIDA, verra cette future histoire putative comme un mauvais présage, et sera en phase de renoncement. Malgré un tournage estival, le soleil n’est pas l’élément qui apporte de la chaleur au récit, mais bien la générosité des acteurs et du metteur en scène. Tous les motifs que ce dernier chérit se retrouvent ici, mais emprunts de légèreté : entendre une conversation secrète permet la découverte inopinée de la séropositivité de Jacques par Arthur, dans un dialogue décalé que Marlène Saldana rend savoureux et drôle. Si le rôle de Denis Podalydès apporte aussi des notes souriantes, l’humour salvateur des dialogues de Vincent Lacoste, ainsi que la fantaisie du jeu de son corps qui prend le contre-pied de chaque scène dramatique, permettent de ne jamais tomber dans l’ornière du pathos. La fluidité du montage vif permet des incises oniriques d’une grande tendresse.
Si Jacques devient d’emblée un guide auprès d’Arthur, poésie, essai, roman, théâtre, cinéma diffusent, tissent des liens, se transmettent et nourrissent chaque personnage tout au long du film. Très loin de la simple citation clin d’œil, les références littéraires ne se limitent pas seulement à des affiches au mur, ou des livres dans des bibliothèques, mais sont incluses dans les dialogues où des phrases de Jean-Luc Lagarce ou d’Hervé Guibert se retrouvent. Alors que ces échanges très écrits pourraient nous exclure du long-métrage, les acteurs se les approprient pour les rendre vivants au point de nous aspirer dans leur histoire. Tout comme l’enchantement de se replonger dans les morceaux de la bande originale, qui ne rassemble pas les meilleures ventes de l’époque mais correspond à ce que le réalisateur écoutait alors : « One love » de Massive Attack dès l’ouverture, « Can’t be sure » de The Sundays « Pump up the volume » de MARRS, « I wear your ring » de Cocteau Twins et le « Cache Cache Party » de Pijon entre autres.
Par sa sobriété et sa sincérité brute, le dernier opus du cinéaste pourrait rallier ceux qui ne sont pas sensibles à son travail. Nulle afféterie, ni superflu avec des acteurs parfaits pour ce récit où s’entremêlent légèreté et douleur. Christophe Honoré convoque avec justesse les fantômes qui l’ont construit pour leur rendre le plus bel hommage qui soit : la découverte d’un artiste comme une histoire d’amour peut bouleverser une vie à jamais.