Ce sera pour une autre fois, peut-on espérer. Vadim Repin jouera donc le Concerto pour violon d’Alexander Glazounov, de 1903, de vingt minutes environ, que l’on entend, il est vrai, beaucoup moins souvent malgré d’indéniables beaux passages. Glazounov, grand ami de son illustre aîné de vingt-cinq ans, Tchaîkovsky, un brin jaloux de son cadet. Suivra la Douzième de Chostakovitch que Tugan Sokhiev a déjà dirigé ici en février 2012 mais dans une autre série d’abonnements.
Serge Chauzy vous a entretenu sur le concerto et son compositeur. Quelques mots de plus sur le dernier grand symphoniste et sa Douzième, ici avec son fils Maxim en 1962, l’année d’après la création de la dite symphonie.
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Chostakovitch, ou l’art de se mettre dans son tort…Ni « collabo », ni « refusnik », ni anticommuniste, ni dissident, « mais un citoyen soviétique loyal, ayant pris cette décision, peut-être utopique, de ne penser et de n’agir qu’en homme libre et responsable », il avait ce visage grave, que jamais n’illuminait l’ombre d’un sourire…
Enfouie sous contraintes et persécutions, l’existence de Dimitri Chostakovitch aura été finalement, entièrement fidèle à la terre russe. Malgré la terreur psychologique institutionnalisée par le régime soviétique, le dernier Géant de l’écriture symphonique laisse une œuvre considérable universellement reconnue.
Symphonie n°12 en ré mineur, op.112 « L’Année 1917 »
I. Revolutionary Petrograd – Moderato – allegro
II. Razliv : Adagio
III. Aurora : Allegro
IV. The Dawn of Humanity : L’istesso tempo
Durée, environ 37’
Quelques mots donc sur cette fameuse 12ième de Chostakovitch, bien peu souvent exécutée dans les salles de concert. On lui préfère la 4ième, la 8, la 10 bien sûr. Elle arrive après la Onzième Symphonie dite « l’année 1905 » et sera baptisée “1917“, créée le 15 octobre 1961 à Moscou. Le compositeur a cinquante-cinq ans. A l’année 1905 succède donc l’année 1917 autour du personnage de Lénine.
Certains ne vont pas être tendres avec cette nouvelle partition, plutôt déconcertante, la trouvant vide d’intensité, de force tragique, d’émotion. C’est à se demander si le compositeur n’a pas voulu à sa manière se rebeller, n’ayant pas d’autres moyens que les portées sur lesquelles il peut s’épancher, exorciser, se révolter. En effet, en pleine composition de cette Douzième qu’il a annoncé souhaiter l’avoir terminée pour le Printemps de Prague 1961, il se produit alors un fait extraordinaire et déroutant dans sa vie, se rajoutant à une déjà longue liste de “couleuvres“ avalées : en juin 1961, il est contraint d’adhérer au Parti Communiste afin d’occuper le poste de Président de l’Union des Compositeurs de Russie, sous la poussée d’un certain Nikita Khrouchtchev, poste qu’il n’a pas sollicité. Pour répondre en tant qu’homme et artiste à cet enrôlement quasi-obligatoire, ce seront les symphonies n° 13, 14 et 15.
Cette symphonie n°12 est indéniablement une commande dédiée à la mémoire de Vladimir Illitch Lenine, écrite sans grande conviction. S’y additionnent tout de même, élan, passion, pathétique et lyrisme tragique pour donner une peinture sonore bruyante et monumentale retentissant du roulement de la batterie. Son compositeur n’a-t-il pas dit à son propos ? « La bonne musique émeut l’homme et l’incite au travail. Elle eut pu être tragique mais il faut qu’elle soit puissante. Elle n’est plus fin en soi, mais moyen de lutte. »
C’est donc le rôle finalement effacé joué par Lénine, de “deus ex-machina“ pendant la Révolution d’Octobre de 1917 qui apparaît.
Les sous-titres parlent d’eux-mêmes. Les quatre mouvements se jouent sans interruption.
Après le “Revolutionary Petrograd“, ample allegro symphonique dans une dynamique presque constamment fortissimo, c’est “Razliv“ évoquant une localité au nord de Petrograd où coule une petite rivière souvent en crue – quand on sait que razliv veut dire en russe, crue, débâcle !!! – où Lénine se réfugiait et d’où il suivait les évènements révolutionnaires dont il jouera l’acte final en arrivant dans la ville en rébellion par la fameuse “gare de Finlande“.
Le troisième mouvement, un allegro, s’intitule Aurora, du nom de ce fameux cuirassé dont la salve donna le signal de l’assaut du Palais d’Hiver. Il constitue le point culminant de l’œuvre et présente une progression caractéristique depuis un pianissimo à peine audible jusqu’au tutti fortissimo. Enfin, le quatrième, qui demanda de longs mois de gestation, Chostakovitch étant vraiment peu inspiré, “The Dawn of Humanity : l’istesso tempo“ dépeint très complaisamment cette aube enfin éclairée par le communisme triomphant !
Chostakovitch déclarera à la radio : « Je voulais que la Douzième Symphonie soit terminée pour le XXIIè congrès du PCUS. Et j’y suis parvenu. Je suis arrivé à terminer ma symphonie en ces journées historiques de notre patrie. » !! Symphonie achevée d’accord, non sans mal, une sorte de pied-de-nez aux instances dirigistes d’alors.
Opinion : «L’histoire, aujourd’hui, se substitue aux événements. La mort, déjà, avait dépouillé Chostakovitch des oripeaux trouvés au vestiaire de l’opinion publique. Dans une nouvelle clarté, le compositeur avance, front large, regard perçant, traversant le miroir sans sarcasme, sans grimaces, sans effroi. Celui qui chanta l’utopie, l’aube et la nuit, le rebelle consentant, le soumis des lendemains enlisés, l’apôtre des renouveaux perdus et toujours resurgis, le voilà bien, Chostakovitch. D’autant plus présent qu’il est désincarné, affranchi, intouchable, acteur, juge et témoin d’une longue odyssée. Le voici, de retour, survivant de la traque et rendant compte. Par l’œuvre, par l’humour, par l’éclat, par le silence. De retour, «Chosta» est vivant!» Guy Erismann, Philippe Gavardin, François Pigeaud.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Tugan Sokhiev (direction)
Vadim Repin (violon)
lundi 05 mars 2018 à 20h00
Halle aux Grains