Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Rendez-vous avec un jeune journaliste parisien, Yves Delafoy, de passage à Toulouse pour une série de reportages radiophoniques consacrés à la ville et à certains de ses habitants. En ce samedi soir, à l’heure de l’apéro, nous allons au Bàcaro où une bouteille de blanc de Thierry Puzelat amorcera la conversation. Le lundi suivant, nous nous retrouvons pour dîner. J’ai songé au restaurant Solides de Simon Carlier, mais celui-ci est privatisé en raison d’une dégustation de vins de Bordeaux. Nous ne dirons pas ici le mal – général – que nous pensons de ces vins-là par refus de l’amalgame et par respect pour quelques vignerons ou domaines qui font tout de même l’honneur de l’appellation : Château Le Puy, Moulin Pey-Labrie… Nous nous replions alors vers le Glastag, mais celui-ci a été pris d’assaut. Une dernière table de libre nous sauve la mise. Excellent dîner arrosé d’un rouge de Benjamin Taillandier. Yves me demande comment était la vie avant les téléphones portables. A ce moment-là, dans mon champ de vision, sur les cinq personnes dînant à deux tables différentes, trois sont vouent toute leur attention à leur téléphone portatif. Ils ne prennent même pas de photos des plats, sans doute les ont-ils prises avant. Je dis à Yves qu’en ce temps-là, la vie était plus calme, moins tendue, moins rapide. On s’écrivait des lettres. On pouvait attendre, sans anxiété, trois ou quatre jours avant de recevoir une réponse quand aujourd’hui un SMS exige une réactivité quasi immédiate. Qu’avons-nous gagné ? Qu’avons-nous perdu ? Il faudrait parfois se poser la question. Les réponses pourraient surprendre.
Après le dîner, nous ne cédons pas à l’appel des délicieux cocktails du Glastag. Cependant, Yves, qui a passé quelques années à Toulouse du temps pas si lointain de ses études, me propose un dernier verre dans un bar voisin qui lui a laissé de bons souvenirs et qui sert notamment des vodkas artisanales. La proposition me semble honnête, la vodka aussi, mais le lendemain un solide mal de crâne me fait songer à cette phrase que l’on entend dans Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin et aussi dans L’Arme fatale de Richard Donner qui l’a rendue culte : « Je suis trop vieux pour ces conneries. »
Depuis plusieurs semaines, des nuées de moineaux (ou d’oiseaux susceptibles d’être des moineaux) – plusieurs centaines, un millier peut-être – se donnent rendez-vous sur les arbres de la cour de la Chambre de commerce et d’industrie entre 17h30 et 20h30. Ces petites bêtes pépient et font un raffut du diable. J’observe leur ballet depuis mes bureaux du second étage du début de la rue Alsace Lorraine et aussi depuis les trottoirs ou la place Rouaix. Dans le ciel, leurs chorégraphies défient la raison humaine. Des nuages d’oiseaux se forment, se séparent, s’agrègent à nouveau, ruent vers les arbres. Où vont-ils donc ensuite ? Quelle perturbation dans leur migration les a fait se retrouver ici ? Resteront-ils jusqu’à l’hiver ?
Un samedi de novembre, déjeuner avec Jean-Christophe Comor, talentueux vigneron installé à Roquebrussanne dans le Var qui vient livrer quelques cavistes toulousains. Nous avons nos habitudes au Tire-Bouchon, mais Jean-Christophe a envie de découvrir un nouvel endroit. J’ai songé au Rocher de la Vierge car sa cuisine franche et goûteuse, ainsi que ses vins résolument « nature », devraient plaire au vigneron. L’intuition fut bonne et le déjeuner d’une simplicité (cervelle de veau, poulet fermier…) dont l’excellence tendait vers la sophistication. Quinze euros cinquante entrée / plat / dessert. What else ?, comme dirait l’autre. Nulle intention de faire ici un « publi-reportage » sur un endroit qui d’ailleurs n’en a pas besoin pour être plein. Juste le désir de saluer une table où le plaisir du bien manger et du bien boire demeure accessible.
Sur les bandes blanches de passages piétons, j’ai repéré à des feux place Jeanne d’Arc et place Esquirol des publicités peintes vantant les mérites d’une société immobilière. Il fallait y penser. Décidément, le progrès fait rage. Si un quidam était pris à tagger ainsi l’espace public, il serait condamné à une amende. À l’inverse, la dégradation publicitaire est autorisée, voire encouragée. D’ailleurs, pourquoi s’arrêter aux bandes des passages piétons ? Toulouse est riche en monuments que l’on pourrait redécorer au bon vouloir des marchands… Ce genre de pollution publicitaire me donne des envie de « casseurs de pub », tentation que mon naturel pacifique entravera. Du moins pour l’instant. Enfin, comme disait Michel Audiard : « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. »