Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Relecture du Istanbul, souvenirs d’une ville d’Orhan Pamuk, dans sa nouvelle édition augmentée d’une riche iconographie en noir et blanc, sur une terrasse d’un café à l’ombre d’un chaud soleil d’été indien en ce début du mois d’octobre. Nostalgie de cette ville-monde bouillonnante où la modernité côtoie des vestiges de l’Empire ottoman, de Constantinople, voire de Byzance. Nostalgie du Bosphore, des pêcheurs du pont de Galata, des maisons de bois, des verres de raki dégustés sur les toits de la ville… Des feuilles déjà automnales tombent sur les pages de mon Pamuk, comme pour épouser l’hüzün, cette mélancolie stambouliote chère à l’écrivain.
Retrouvé Istanbul aussi dans le merveilleux livre lu récemment de Lawrence Osborne, Boire et déboires, dont le sous-titre, « en terre d’abstinence », n’est pas anodin. L’écrivain et journaliste britannique y relate ses ivresses et ses abstinences (forcées) à travers la planète : de Beyrouth à Bangkok en passant par Islamabad, Dubaï et tant d’autres cités d’horizons lointains. M’est venue alors l’idée d’un livre que je n’écrirai jamais : mes ivresses dans la ville rose. Trop de compagnons de beuverie seraient compromis ainsi que certains lieux dont la bonne réputation pourrait souffrir du récit de débordements contraires aux saines injonctions des autorités : l’abus d’alcool est dangereux.
Voici quelques semaines, une partie de la rue Alsace était décorée de panneaux en cartons célébrant les vignerons de Fronton. Ceux-ci posaient pour des photos décalées et réussies. J’en ai reconnu quelques-uns (Marc Penavayre, Diane et Philippe Cauvin, Anne et Géraud Arbeau…) tout en étant surpris qu’une telle campagne de communication n’ait pas été prohibée par l’hygiénisme et le puritanisme ambiants. Quelques jours plus tard, ces installations avaient été vandalisées. De nuit, j’imagine, par des passants éméchés. L’abus d’alcool a décidément des conséquences paradoxales.
L’autre jour, lors d’un déjeuner au 7 avec Rodolphe Lafarge, je me plaignais de l’absence de bar à vins à Toulouse. De « vrai » bar à vins où l’on puisse commander un canon de rouge ou de blanc – d’honnête facture évidemment – sur le zinc sans passer par les fourches caudines des inévitables tapas, portions, tartines et autres alibis solides. Mon commensal argumentait, dégotait une ou deux adresses sans vraiment me convaincre. Je me souviens encore de la mine ébahie, limite réprobatrice, du tenancier d’un « bistrot à vins » toulousain auquel avec un bon compagnon nous avions commandé, au cœur d’un après-midi buissonnier, après une tournée de bière de politesse, une bouteille de vin blanc. Une bouteille ? Pour deux ? À ses yeux, la demande avait l’air baroque, inattendue, déplacée. Soupçonnait-il une caméra cachée ? Il nous servit cependant. Au final, son jus ne méritait pas une bouteille, un verre aurait suffit. Par savoir-vivre, nous l’avons finie avant d’aller boire ailleurs des cocktails puis des bières puisque même les vendeurs de vins ne semblent pas aimer les buveurs.
« Chaque société livre sa propre guerre au plaisir », peut-on lire sous la plume de Lawrence Osborne qui défend l’usage de l’alcool comme une façon « d’échapper à l’ennui des voyages et à la discipline de la solitude ». Remettez-nous ça.