Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Juillet / août : rituel estival des travaux dans la ville. Un peu partout, ça marteau-pique, ça creuse, ça ravale, ça détruit, ça bétonne, ça goudronne, ça élargit… Bruit et nuages de poussière garantis. Aux aménagements traditionnels s’ajoutent de plus vastes chantiers comme ceux du parking Victor Hugo, de la rue Bayard, du quartier Matabiau, des allées Jean Jaurès… Verrons-nous la tour d’Occitanie, digne d’une tour de Dubaï, en 2022 ? Qui arrosera les plantes vertes ? Des hélicoptères ? On plaisante… Les allées Jean Jaurès devraient retrouver leur allure, ou plutôt leur vocation, de la Belle époque : des ramblas. On ne s’en plaindra pas. Retour vers le passé.
A Victor Hugo, il sera difficile de faire pire que ce qui existe. Le mieux aurait été de raser l’immonde parking, mais on comprend l’aversion des riverains pour ce projet. Évidemment, dans le genre, le parking de la place des Carmes n’est pas mal non plus. Cependant, la façade « Mondrian » côté rue du Languedoc et l’absence relative de perspective depuis les rues adjacentes (Pharaon, Filatiers…) rend la verrue moins monstrueuse, plus acceptable.
Ces travaux m’ont fait songer au livre Retour à Toulouse de Daniel Quesney (éditions Les Beaux Jours) sorti en 2007. Le principe était simple : à partir de cartes postales ayant immortalisé un siècle auparavant rues, places et paysages emblématiques de la ville, le photographe avait réalisé des clichés de ces lieux selon le principe de la « reconduction » : mêmes angle, cadrage, saison, lumière… L’exercice est cruel, impitoyable. Difficile en comparant les vues de ne pas céder au péché de passéisme et au « C’était mieux avant » qui peut valoir de solides excommunications aux hérétiques nostalgiques. On comprend mieux l’avertissement placé dans l’avant-propos du livre par l’auteur : « Le travail de reconduction photographique tend à comprendre et non à verser a priori dans la nostalgie d’un monde perdu. »
Cela dit, on aimerait effectivement comprendre. « Qu’ont-ils fait ? Pourquoi ? Quelle mouche les a piqués ? » se dit-on en feuilletant le livre. La prescription a fait son œuvre, mais des procès se sont perdus. « Outrage au bon goût », « Destruction des villes en temps de paix », « Propagation de laideur », « Crime de lèse-beauté en bande organisée » : nous aurions eu des propositions pour les motifs d’inculpation.
La ville a tellement changé ces dernières années et change tellement qu’une nouvelle édition comparant les vues de 2007 et de 2017 ne serait pas inutile.
Au fait, le type à qui l’on doit le parking des Carmes s’appelle Georges Candilis. Une plaque en atteste. Il faut tout de même le rappeler de temps en temps. Il a aussi conçu le Mirail. Ben voyons. Pourquoi se priver ? Nous avons l’impression qu’il ne doutait de rien ce Candilis.
Petit plaisir de saison : indiquer aux touristes égarés leur chemin.
Cet été, le restaurant La Pente douce n’a pas fermé. Heureuse initiative dont nous avons profité lors d’un déjeuner, un jeudi du début du mois d’août, jour particulièrement prisé car dédié au couscous que nombre de médias nationaux ont encensé de façon dithyrambique ces derniers mois. Nous n’avions jamais goûté le couscous de poissons. Sans surprise, il est épatant.
Autre délicieux déjeuner du mois d’août à La Binocle, à quelques mètres de la place Saint-Georges où prolifèrent de vilaines gargotes. Comme d’habitude, tout était bon. Pour ne rien gâcher, Franck B. avait sorti quelques bouteilles de derrière les fagots dont un « Mauvaises herbes » 2001 du Domaine Peyra – gamay d’Auvergne plein de fraîcheur, d’innocence et de caractère. Une quinzaine d’années après sa naissance, ce vin – pourtant dénué des attributs chimiques censés garantir la bonne conservation du jus de raisin fermenté – était intact. On ne pourra pas comparer avec un « Mauvaises herbes » 2015 ou 2016 car le Domaine Peyra n’existe plus. Pour nous consoler de cette perte, déjeuner et dégustations de flacons ont duré jusqu’à ce que la nuit tombe. Il était temps de lever le camp et de boire une dernière bouteille, quelque chose de rare, de farouche et d’enjôleur. Un vin improbable, sans nom, sans étiquette. Il nous en reste une ultime. Il faudra choisir le bon moment pour l’ouvrir, un moment de grande joie ou de grande tristesse. La première hypothèse, si possible.