Personnellement, je ne me lasse pas de revenir aux Jacobins, en ce lieu où j’ai « usé mes culottes courtes » du temps où j’étais lycéen et où je venais déclamer les poèmes de mes phares dans le cloître transformé en cours de recréation. Par exemple, ceux de l’auteur anonyme de la Chanson de la Croisade albigeoise où il chantait la mort du détesté Simon de Montfort :
Quand Toulouse l’apprit,
L’allégresse fut telle à travers la cité
Qu’on courut aux églises y allumer des cierges,
En criant « Joie ! Dieu miséricordieux !
Paratge resplendit et triomphe à jamais !
Homicide et cruel, le comte sanguinaire
Est mort sans sacrement, ce n’est là que justice !
Alors trompes et cors, cloches et carillons,
Tambours, timbales et clairons
Sonnèrent à grands coups et à toute volée,
Toute la ville en retentit…
C’était quelque peu iconoclaste dans un Couvent fondé par un ordre mendiant voué à prêcher la Croisade contre les Albigeois ; mais il en a vu d’autres, ne serait-ce que les écuries des troupes napoléoniennes…
Aujourd’hui, dans ce cadre fabuleux cher au cœur de tant de Toulousains, le Printemps de Septembre (1) présente jusqu’au 17 septembre 2017 l’exposition « le Ciel devant soi » et les « absidioles » (2) aménagées dans le Réfectoire renouent d’une certaine manière avec l’origine religieuse.
Y sont présentés une sélection de photographies de 8 artistes renommés dans le domaine de l’art contemporain qui ont en commun de photographier des églises ou des lieux de cultes insolites, interrogeant leur place à travers le monde et les époques : les œuvres de Markus Brunetti, Fabrice Fouillet, Christof Klute, Aglaïa Konrad, Angèle Laissue, Cyril Porchet, David Spero et Eric Tabuchi rassemblées sont en résonnance avec le lieu même.
Porchet Seduction (2009)
On peut parler de portraits d’églises, certaines flamboyantes, d’autres insignifiantes (en apparence) comme ces magasins ou ces usines désaffectées transformés en lieux de culte, ou d’autres encore émouvantes telles ces grottes occupées par les protestants ou ces bois refuges de prière pour les populations juives.
Si les théologiens décrivent l’architecture sacrée comme « un morceau d’espace fini qui nous rapproche de l’infini », c’est avant tout « une source de vie quotidienne » pour les photographes du Ciel devant soi.
Même si l’on n’est pas croyant, si l’on n’est pas du tout sensible à la spiritualité, ce lieu et cette exposition estivale ne peuvent qu’attirer le public, esthète ou pas, et lui offrir un havre de plaisir esthétique… et de fraicheur.
Nous devons cette belle réalisation à Christian Bernard, nouveau maître d’œuvre du Printemps de Septembre, très apprécié à Genève d’où il vient, grand lecteur (Le ciel devant soi est une allusion à La vie devant soi, le roman de Romain Gary), poète, philosophe, avec qui Toulouse a la chance de pouvoir travailler maintenant.
La conservatrice du Couvent des Jacobins (3), Marie Bonnabel, qui a ouvert le Réfectoire à ces artistes, réserve de nombreuses surprises aux amoureux de ce joyau de notre patrimoine, mais aussi à ceux qui ne le connaissent pas encore.
A la Fondation Bemberg (4), du 23 juin au 1er octobre, c’est un panorama « De Poussin à Cézanne », à travers des chefs d’œuvre du dessin français de la collection Prat qui nous est offert. Au 2ème étage de l’Hôtel d’Assézat, j’ai un peu l’impression de pénétrer dans l’intimité des collectionneurs, en tout cas dans leur cabinet de curiosités : ce qui me surprend de prime abord, c’est l’éclectisme qui a présidé aux choix de ceux-ci, le moins qu’on puisse dire etant qu’il y en a pour tous les goûts.
Charles Lebrun – Femme nue
Monsieur Louis-Antoine Prat, collectionneur et Président de la Société des amis du Louvre, grand érudit, est un amoureux du Beau, sur les traces de ces artistes français qui faisaient le tour d’Italie au XVIIème siècle. D’ailleurs, avant Toulouse, cette exposition a été présentée entres autres, à Venise au Museo Correr (qui présente des chefs-d’œuvre de Giovanni Bellini à Vittorio Carpaccio et de la cafétéria duquel on a une vue superbe sur la Piazza San Marco).
Avec son épouse, il ont réunies des pièces remarquables, comme cette petite blanchisseuse de Toulouse-Lautrec, sanguine sur papier japonais, ou ce dessin d’Antoine Rivalz, Saint Pierre guérissant les malades de son ombre, à la pierre noire, au pinceau et lavis brun rehauts de blanc sur 6 feuilles de papier beige accolées (où l’on peut deviner la tour-clocher des Jacobins et la façade de La Daurade en arrière-plan), une épreuve et une contre-épreuve de Greuse, et des œuvres de poètes, Victor Hugo (qui interdisait, dit-on, que l’on mette de la musique sur ses vers et n’aimait pas que l’on parle de ses travaux plastiques pourtant très nombreux) et Charles Baudelaire (célébrant un peu plus sa maîtresse Jeanne Duval)… 110 œuvres en tout exceptionnelles, qui illustre l’évolution du dessin français, sur plus de trois siècles, depuis Poussin et Caillot jusqu’à Seurat et Cézanne, en passant par Ingres à Delacroix.
Baudelaire, Beauté antique
Au final, on se laisse prendre par ce foisonnement de styles totalement différents d’artistes chevronnés ou amateurs (comme les poètes), et l’on emporte l’image de ceux que l’on préfère, en pouvant se dire ; « je suis sans doute le seul préférer celui-là ».
Cette exposition ouvre de nombreuses perspectives de rêverie suivant les affinités de chacun, dans un cadre exceptionnel qu’on ne se lasse pas d’admirer ; d’autant qu’un sympathique salon de thé et restaurant éphémère, la loggia (5), est ouvert sur la terrasse de la cour.
Et je n’oublie jamais que cet Hôtel pastelier abrite toujours l’Académie des Jeux floraux de Toulouse, héritière des Sept Troubadours qui ont fondé la Compagnie du Gai Savoir au XIVème siècle.
Avant de replonger dans le vacarme de la vie moderne, je caresse encore une fois du regard la cour de réception avec son escalier en forme de tour, et je songe aux vers de Marc Lafargue, quand il était exilé à Paris :
Là-bas c’est la splendeur de nos toits magnifiques
Quand les rayons du ciel
Animent tour à tour les murailles de briques
De chaque vieil hôtel.
E.Fabre-Maigné
Pour en savoir plus :
2) Une absidiole, appelée aussi chapelle absidiale, est une chapelle secondaire de petite dimension s’ouvrant sur l’abside et, par extension, aménagée sur les bras du transept.
3) Couvent des Jacobins Parvis des Jacobins 31000 Toulouse Métro à proximité : Capitole. Il faut signaler que des visites guidées de l’exposition sont organisées chaque jour à 16h (sauf le lundi). Pour en profiter, rendez-vous 5 minutes avant le début de la visite à l’accueil du couvent des Jacobins. Tarif : 4 € (comprenant l’entrée au couvent et la visite guidée de l’exposition).
4) Fondation Bemberg-Hôtel d’Assézat. Place d’Assézat 31000 Toulouse 05 61 12 20 60. Métro Esquirol
5) de mi-avril à mi-octobre de 10h00 à 17h30 (possibilité de réserver à l’avance au 05.61.12.06.89).
1-2 copyright Porcher et Spero
3-4 copyright collection Prat