Il est des concerts dont l’intelligence arrive à enrichir le débat sociétal de manière imprévue. Ainsi rappeler combien l’Orient n’est pas obligatoirement source de dangers mais a été et reste pour beaucoup une source d’inspiration et de poésie de la vie est important à ne pas perdre de vue. Comment vivre sans un ailleurs inconnu, souhaité et rêvé ? L’Orient, du sud de la Russie à la Chine en passant par l’Iran, l’Arabie, la Perse, la Turquie, bordés de rivages incertains, autant d’escales qui sont cet Orient des poètes et des musiciens.
Orient de rêve sur des sommets de poésie
Ce programme admirablement construit nous promène à travers le XXième siècle naissant avec quatre compositeurs européens à qui l’Asie au sens large a offert une belle inspiration. La Suite pour orchestre de Nielsen, prévue pour accompagner une pièce de théâtre sur Aladin rend compte que la fascination du musicien Danois pour la puissance des couleurs orientales. Dès l’introduction, le large phrasé et la pulsation pondérée, mais implacable, donnent une grandeur quasi Hollywoodienne à cette partition variée. Puis du hautbois chanteur, aux cordes suaves, et aux percussions savantes, tout est évocation d’un monde qui stimule tous les sens. Belles variations autour de ce thème de l’Orient pour Nielsen qui termine avec un grandiose tableau de plein air festif. Tugan Sokhiev saisit la partition à bras le corps et en en dépassant les faiblesses, nous fait apprécier cette partition festive. L’orchestre du Capitole suit comme un seul homme avec une virtuosité de braise.
Avec Asie sur des poèmes de Tristan Klingsor, Maurice Ravel utilise une autre gamme musicale, entièrement tournée vers la subtilité des nuances, des couleurs et une orchestration remplie d’une incroyable suavité. Le dialogue avec la voix féminine est d’une grande subtilité.
En octobre 2014, Marianne Crebassa avait déjà interprété ici ces trois superbes mélodies de Ravel. Nous avions déjà apprécié le timbre et la diction. Ce soir Marianne Crebassa gagne un niveau supérieur d’émotion et de précision sur le plan de la diction, semblant vivre chaque instant des trois contes. La voix est plus vaste et donc peut mieux évoquer la cruauté de certaines images. Quel timbre envoûtant ! Quelle lisibilité de chaque mot ! Tugan Sokhiev est attentif à la moindre nuance, il accompagne le souffle de la chanteuse avec amour. Les soli issus de l’orchestre sont tous magiques.
Dans la Danse des sept voiles extraite de la sulfureuse partition de Richard Strauss (Salomé), c’est la direction sensuelle de Tugan Sokhiev qui envoûte orchestre et public. Le chef si à l’aise dans la musique de ballet et l’opéra fait monter tension et sensualité de manière irrésistible. Le public exulte. Quand lui confiera t-on une production de Salomé ?
La suite de 1919 de l’Oiseau de Feu de Stravinski est un grand moment de l’orchestre du Capitole sous la baguette de son chef. L’enregistrement de 2011 est là pour que chacun puisse le déguster mais il faut reconnaître que Tugan Sokhiev, que nous n’avions plus vu depuis son succès total dans la Jeanne d’Arc de Tchaïkovski et les forces moscovites, a semble-t-il gagné un pallier. La puissance et l’énergie de sa direction sont incroyables, poussant chaque instrumentiste à se dépasser. Et sa gestuelle si belle ne perd rien de sa grâce.
Pour terminer dans l’harmonie ce concert d’exception, Tugan Sokhiev et son orchestre nous offrent le Jardin merveilleux, final sublime de Ma Mère l’oie de Maurice Ravel. L’osmose entre Tugan Sokhiev, son orchestre et ce programme si sensuel est un grand moment que le public toulousain fête comme il se doit, conscient de sa chance. Rendons grâce à la clairvoyance qui a fait confiance à un jeune chef de moins de 30 ans. En dix ans, il a engagé un orchestre déjà excellent sur des sommets himalayens.
Compte-rendu Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 19 mai 2017.
Carl Nielsen (1865-1931) : Aladin, suite pour orchestre.
Maurice Ravel (1875-1937) : Shéhérazade sur des poèmes de Tristan Klingsor.
Richard Strauss (1864-1949) : Salomé, danse des sept voiles.
Igor Stravinski (1882-1971) : L’oiseau de feu, suite pour orchestre, version de 1919. Marianne Crebassa, mezzo-soprano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.
Illustration : Marianna Crevassa et l’Orchestre National du Capitole de Toulouse ©Patrice Nin