Les Grand Interprètes ont gâté leur public avec deux concerts des trois plus grands pianistes du moment. Un duo légendaire d’abord et un soliste hors norme ensuite : Inoubliables .
Matha Argerich , Stephen Kovacevich, et Nelson Frères ou les Amériques du piano au sommet.
Compte-rendu, concert. Toulouse, La Halle-aux-Grains, le 24 avril 2017. Debussy, Rachmaninov. Musique pour deux pianos. Martha Argerich et Stephen Kovacevich, piano.
Martha Argerich est une musicienne comme il n’en existe pas deux. Elle associe deux qualités impensables ensemble. Une fragilité d’artiste hypersensible qui peut la rendre maladroite et la faire paniquer et une puissance tellurique tant il semble qu’aucune partition ne la puisse mettre en difficulté. Nous savons que sa sensibilité ne lui permet presque plus de jouer seule en récital tant pour elle toute musique est partage. La musique de chambre est son domaine d’élection et ce soir avec son complice Steven Kovacevich, les deux pianistes nous offrent un concert inoubliable. Kovacevich et Argerich ont été collègues, amis, amants, parents de leurs filles. Il reste de tant de partage, parfois houleux, une passion commune pour la beauté de la musique partagée. La perfection de jeu est au sommet, la musicalité de chaque note, le sens du discours et l’intégrité de l’artiste sont leur partage. Tous ces liens ont été magnifiquement offerts au public, tout à fait comblé des Grands Interprètes.
D’abord un programme d’une rigueur incroyable. Deux compositeurs virtuoses eux-mêmes du clavier dans des œuvre dédiées à deux pianos. Soit des compositions originales, soit réécrites par les compositeurs eux-mêmes avec une magnificence de chaque instant. Prélude à l’après midi-d’un faune est dès les première mesures une expérience incroyable. Point de flûte en vedette mais une atmosphère à la fois simple et subtile évoquant le soleil et la chaleur environnant cet être si sensuel. Les deux pianos se répondent, s’enlacent avec une délicatesse amoureuse et infinie dans des nuances délicates et des sonorités diaphanes. Debussy a composé une autre partition à partir de ce beau thème.
Lindaraja est une très courte pièce qui contient tout les charmes des voyages en Espagne, à la fois musqués, coloré, rythmés. Nos deux artistes rivalisent d’ intelligence, rendent perceptible au-delà de la pure beauté de l’œuvre, les niveaux d’hommage, d’auto-références et d’éternité mis en abime… Hommage à Ravel, Bizet, Chabrier et le Debussy des Estampes.
En Noir et Blanc est une des dernières compositions de Debussy, si miné par la guerre. Il arrive à dépasser en émotion tout ce qu’il a composé dans un mouvement lent nommé “lent-sombre”. Ce moment suspendu dans un pur éther de poésie démontre la fusion dont sont capables les deux pianistes. Une même âme en deux fois dix doigts. Entouré par “Avec emportement” et “Scherzando” , le rythme et le brillant en leur virtuosité diabolique, renforcent encore ce chant central du deuil.
En si peu de temps, tant de musique et un sens si profond ! Jamais entracte n’aura été aussi nécessaire pour le public comme pour les artistes.
Les Danses symphoniques sont des œuvres particulièrement riches et originales et demandent beaucoup à l’orchestre. La version de Rachmaninov pour deux piano est intense et par la netteté du jeux pianistique en développe, s’il se peut, toute la modernité. Il faut reconnaître cette qualité unique de clarté et de précision dans le jeu des deux pianistes amis. Si le jeu de Martha Argerich est toujours emprunt d’une liberté incroyable avec cette impression que tout lui est facile et si Kovacevich est plus concentré et parfois soucieux, à l’écoute il faut reconnaître que c’est la même fluidité, les mêmes touchers délicats et les mêmes nuances très fines que les deux artistes construisent en commun. Chacun avec son style pour une même musicalité. Et c’est bien l’impression de la convocation d’un orchestre symphonique entier qui a été évoquée par le fortissimo final des claviers. Un grand moment de musique et de piano symphonique.
Un petit secret m’a été révélé. Si les deux pianiste se sont installés à coté, les deux pianos dans le même sens, ce n’est pas seulement pour être côte à côte. C’est en effet indispensable car Kovacevich a besoin pour jouer d’un tabouret préparé: très bas, pieds coupés. Ainsi Stephen Kovacevich ne peut voir ou être vu de sa partenaire si les pianos sont tête bêche ! Un délicat jeux de déplacement de tabouret nous a permis de voir mieux tantôt l’un, tantôt l’autre pianiste. Et pour le dernier bis, ils se sont installés côte à côte, chacun sur son tabouret au même piano !
Car après le final sensationnel de Rachmaninov l’enthousiasme du public a obtenu trois bis dont une danse de la fée dragées de Casse Noisette d’une délicatesse de cristal et une valse de Brahms à quatre mains tout à fait enthousiaste.
Les Grands Interprète nous ont offert un bien beau concert. Et la venue de Nelson Frère l’autre immense ami de Martha Argerich le 15 mai prochain, nous promet un autre grand moment de musique!
Compte rendu concert. Toulouse, La Halle-aux-Grains, le 24 avril 2017. Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’après midi d’un faune (transcription pour deux pianos par Claude Debussy). Lindaraja (version originale pour deux pianos). En blanc et noir (version originale pour deux pianos); Sergueï Rachmaninov ( 1873-1943) : Danses symphoniques, op.45b (transcription pour deux pianos par Sergueï Rachmaninov). Martha Argerich et Stephen Kovacevich, piano.
Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 15 mai 2017. Bach, Schumann, Villa-Lobos, Chopin. Nelson Freire, piano.
Quelle chance : en un mois pouvoir entendre, et voir, Martha Argerich et Stefen Kovacevich en duo de rêve puis un concert de l’ami le plus proche de Martha, son quasi jumeau : Nelson Freire, grâce aux Grands-Interprètes. Dans une maturité jupitérienne et fraternelle, Nelson Freire prend possession de son piano avec calme et détermination. Il chante quatre adaptations pour le piano de musiques de Jean-Sébastien Bach. Simplicité, clarté des ligne superposées, élégance des phrasés et délicatesse du toucher. Cet art là est enchanteur. Un baume pour les oreilles, le cœur et l’âme.
Puis avec une détermination de chaque instant, l’interprète rend à la Fantaisie en ut majeur de Schumann, toute la beauté pure des formes, des phrases et des mélodies. Point de spectre de folie mais au contraire une invincible certitude de nous confier la plus belle musique qui soit. Schumann retrouve sa grandeur de sublime musicien qui offre à l’instrument confident, tout l’amour de son cœur pour Clara. Jamais la beauté formelle de cette pièce ne m’avait autant frappée. Le génie de Nelson Freire est celui d’un musicien qui fait de son piano ce qu’il veut.
Pour les pièces de Villa-Lobos, il utilise la même transcendance. Le piano lui appartient et lui permet, sans la moindre caractérisation folklorique surajoutée, de révéler l’élégance et la noblesse de ce compositeur en ces courtes pièces.
C’est en forme d’apothéose que le pianiste brésilien termine son récital. La troisième Sonate de Chopin est elle aussi portée à un sommet de beauté. La classe, la tenue de ce Chopin est précieuse. Depuis ces premiers récitals, chacun sait combien Chopin et Freire sont proches. Avec le temps, la facilité du jeu est simple majesté. La parfaite construction de la sonate permet un déploiement harmonieux de ces vastes proportions sous des doigts si félins. Jamais de dureté même dans les forte tonitruants, une rapidité de fusée dans le scherzo, mais surtout le moelleux du largo est tout à fait voluptueux. Le final lui est absolument grandiose mais reste élégant avec ce prince du piano au souffle généreux. Un grand moment de musique !
Avec bienveillance et grâce Nelson Freire offre en bis à son public conquis deux admirables Intermezzi de Brahms auquel personne ne peut résister tant ils sont l’expression de la bonté même.
Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 15 mai 2017.Johann Sebastian Bach(1685-1750)/Alexander Siloti : Prélude en sol mineur pour orgue, BWV 535 ; J. S. Bach/Ferruccio Busoni : Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ, BWV 639 ; Komm, Gott Schöpfer, heiliger Geist, BWV 667 ; J. S. Bach / Myra Hess : « Jésus que ma joie demeure » ; Robert Schumann(1810-1856) : Fantaisie en ut majeur, opus 17 ; Heitor Villa-Lobos ( 1887-1957) : Bachianas Brasileiras nº 4, Prelúdio ; 3 pièces de A Prole do Bebê : Branquinha, Pobrezinha, Moreninha ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Sonate n°3 en si mineur, opus 58 ; Nelson Freire, piano.