La joie de retrouver Claire Lefilliâtre est toujours grande. Dans Espaece d’après Perec mis en scène par Aurelien Bory, nous avions eu l’immense surprise de la trouver hors des sentiers battus. Ce soir elle n’est pas non plus au sein de l’équipe du Poème Harmonique mais plus “classiquement” en récital, avec un bel ensemble instrumental : L’ Entretien des muses de Stéphane Fuget. L’Oratoire du Louvre où Philippe Maillard organise une très belle saison de musique sacrée a une acoustique très agréable. Dès les premières notes du violon de Jasmine Eudeline, l’équilibre de l’acoustique frappe par sa précision, son moelleux, sa réverbération mesurée…
Divine Claire Lefilliâtre à l’Oratoire du Louvre
L’Annonciation première des sonates du Rosaire de Biber ne nécessite pas de scordatura comme les suivantes. Elle permet donc à la violoniste de poursuivre le concert sans changer d’instrument. Cette Annonciation est bien venue dans un programme consacré à Marie, au temps de la Contre-Réforme, car elle prépare le thème. Le sourire constant avec lequel Jasmine Eudeline joue s’entend. Son violon est heureux et les battements d’ailes de l’ange dans un figuralisme limpide déjouent toute difficulté dans cette redoutable virtuosité. L’orgue, le violoncelle et l’archiluth participent à une belle historisation du discours. L’entrée de Claire Lefilliâtre pour le Salve Regina de Pergolese apporte dans la souplesse instrumentale une beauté florale envoûtante. La voix a gagné en chair et la cantatrice peut désormais davantage utiliser de nuances forte. Sans renoncer à la pureté du timbre des harmoniques généreuses enrichissent les couleurs. Ce Salve Regina a une séduction mélodique et un lyrisme d’une simplicité que les interprètes sensibles et tous animés d’une même souplesse nous rendent évidente.
Puis la Sonate a tre de Schmelzer nous permet d’écouter avec ravissement l’osmose rare obtenue par tous les instrumentistes. La direction en grande souplesse et suggestion de Stéphane Fuget offre une parfaite liberté à chacun. Le bonheur de Claire Lefilliâtre à les retrouver, est visible. Le récitatif et air composés par Haendel, commandé en Italie au jeune musicien teuton et protestant est l’une des nombreuses œuvres de cette époque heureuse. Marie en consolatrice orante, lui inspire une page d’une grande subtilité harmonique dans l’évocation des douleurs liées à la guerre sur terre. L’implication dramatique de Claire Lefilliâtre dans le récitatif permet un incroyable contraste avec l’air à la mélodie si pure et infinie. Puis O Dulcis Jesu de Buxtehude est peut être le sommet émotionnel du concert. C’est en tout cas cette oeuvre qui met en valeur toute la sciences de Claire Lefilliâtre. Le naturel de la rhétorique baroque comme une évidence dramatique nous permet de croire que même en latin, elle s’adresse à chacun de nous en particulier. La plainte si pleine de sentiments profonds est inoubliable. Son dernier Suscipe me est d’une émotion incroyable. La facilité avec laquelle la cantatrice ornemente la ligne mélodique relève d’un grand art qui rappelle ses sublimes dialogues avec Jean Tubery. Le souffle infini porte au plus loin chaque phrase mélodique qui ainsi va au cœur de l’émotion. Enfin la beauté du timbre comme passant de l’ombre de la souffrance humaine à la lumière de la pureté de Jésus, en un dosage subtile de chaque instant, est fabuleuse. L’osmose avec les instrumentistes est complète et la liberté semble infinie.
Le Concerto grosso de Corelli permet aux cordes de briller et d’explorer de fortes nuances et des rythmes bien campés. Leur petit nombre permet une grande précision et une certaine ampleur arrive à se dégager de cette belle interprétation.
Pour finir le prêtre roux, soit Vivaldi, apporte sa touche énergique et extravertie. Même si techniquement, elle domine la partition, Claire Lefilliâtre est moins à l’aise dans ce répertoire qui demande à être plus extravertie voir hyper-démonstrative. Elle habille de subtiles abellimenti les reprises, déjoue les diaboliques notes de l’Alleluia final avec panache. Il sera d’ailleurs bissé. Mais nous resterons sous les charmes persistants de son Buxtehude si sensuel et sensible.
Que ce soit à l’orgue, au clavecin ou dans sa direction, Stéphane Fuget est un fin musicien qui vit la musique et la partage. Rivé à ses claviers, il n’a pas eu loisir de mettre en mouvement un esprit de la danse qui a semblé l’habiter surtout dans le Vivaldi final.
Un concert admirable avec un choix d’oeuvres à la charnière du XVII et XVIII iéme siècle montrant combien la contre réforme a usé de séduction musicale mais aussi comme le protestantisme avec Buxtehude a su sensualiser admirablement ses partitions. En somme, la musique permet un beau dialogue entre réforme et contre réforme à l’opposé de la guerre qui les a vu s’affronter si terriblement pour les humains.
Compte rendu concert. Paris. Oratoire du Louvre, le 11 mai 2017. Heinrich Ignaz Frantz Biber (1644-1704) : Sonate du Rosaire n°1, L’Annonciation. Giovanni Batista Pergolese (1710-1736) : Salve Regina en do majeur. Johann Heinrich Schmelzer (1623-1680) : Sonata a tre, pastorale. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Récitatif et air ” Ah! Che troppo ineguali ” HWV. 2340. Dietrich Buxtehude (1637-1707) : Cantate en mi majeur “O Dulcis Jesu”. Arcangelo Corelli (1653-1713): Concerto grosso op.6 n° 8 en sol mineur. Antonio Vivaldi (1678-1741): Motet “Nulla in Mundo pax sincera” RV. 630. Claire Lefilliâtre, soprano. L’entretien des muses : Jasmine Eudeline et Aude Caulé, violons; Céline Cavagnac, alto ; Alice Coquart,Violoncelle ; Gautier Blondel, contrebasse ; Claire Antonin, archiluth. Stéphane Fuget : Direction, orgue et clavecin.