1 : 54 un film de Yan England
Quel bonheur que de prendre la plume pour écrire sur un film qui vous a scotché sur votre fauteuil. C’est bien du premier long de Yan England dont je parle ici : 1 : 54. Ce titre doit se lire « une minute cinquante-quatre secondes ». C’est en fait le temps qualificatif pour une compétition de 800 m.
Avant d’en arriver là, le réalisateur nous immerge au cœur d’une micro société comme il en existe des milliers dans le monde : un lycée. Dans cet univers qui n’a rien à voir avec celui des bisounours, les ados tentent tant bien que mal de passer à l’âge adulte. Nous nous attachons rapidement aux pas de Tim. Un seul plan suffit pour nous faire comprendre qu’il n’est pas intégré à cet organisme vivant. Avec son unique copain, Francis, Il fait des expériences de chimie qui foirent lamentablement et qui n’intéressent personne. Deux exclus face à des personnalités bourrées de testostérones, dont Jeff, grande gueule certes, mais néanmoins leader charismatique du lycée. Il a pris Tim et Francis comme têtes de Turc pour faire briller son aura. Quand les coups ne suffisent pas, ce sont les réseaux sociaux qui prennent le relai dans un harcèlement d’autant plus efficace qu’il est atomique en terme de déflagration. Entre Jeff et Tim, la lutte va se translater sur le terrain sportif. Les deux garçons vont s’affronter sur une compétition régionale qualificative pour des championnats nationaux, et tous les deux dans la même discipline : le 800 mètres. Simple combat de coqs et d’égos ? Oui et…non. Et, à vrai dire, on en est loin. Et même très loin. Il faut ajouter un constat sociétal et une plongée en apnée dans la psyché adolescente, le ravage des nouveaux outils de communication, l’aveuglement du corps enseignant… Est-ce tout ? Non, l’essentiel est encore ailleurs. Mais cet essentiel, il est convenu de vous laisser le découvrir, la gorge tétanisée, les yeux inondés, le cœur en lambeaux et l’âme brisée. Cette histoire banale de joutes adolescentes n’a de banale que le qualificatif, certainement pas la triste vérité et les dégâts collatéraux qu’elle enchaîne.
Emporté par une caméra virtuose, ce film magistral, et c’est un premier long (!), repose en partie sur les épaules d’un autre surdoué du cinéma, le jeune comédien québécois Antoine Olivier Pilon, découvert il y a peu dans le film de Xavier Dolan : Mommy. Du haut de ses 19 ans, il laisse à des années-lumière les plus grandes stars hollywoodiennes par la profondeur de son jeu, de ses incarnations. Il est stupéfiant ! Le scénario a été écrit pour lui, et il n’est rien de dire combien ce comédien s’investit dans ce personnage fracassé par la disparition de sa mère. La distribution réunie dans ce film est superlative d’acuité de ton, au point que, tourné dans un lycée au milieu de véritables lycéens, au bout de quelques temps, il y avait confusion entre étudiants et comédiens. Avec parfois les dérives que leurs propres rôles pouvaient provoquer. A la demande du Ministère de l’Education nationale canadien, ce film est projeté dans les classes. La France serait bien inspirée d’en faire autant ! Il y a des films que l’on oublie sitôt sorti de leur projection. Celui-ci n’a pas fini de vous hanter. A voir toutes affaires cessantes !
Robert Pénavayre
1 : 54 – Réalisation : Yan England – Avec : Antoine Olivier Pilon, Sophie Nélisse, Lou-Pascal Tremblay, etc. (Durée : 1h 46)
Yan England – Encouragé à faire du cinéma par…Steven Spielberg !
Dès l’âge de 7 ans, ce jeune québécois né en 1980 hante les plateaux de télévision. Il faut dire que sa maman travaille sur des émissions pour enfants. Or elle a régulièrement besoin de figurants. Le virus est vite attrapé. Yan va tout aborder, depuis le sport à haut niveau jusqu’au piano en prenant bien soin de ne pas perdre de vue son rêve : les Oscars. Il s’en est fallu de peu d’ailleurs qu’il n’en décroche un pour son court métrage Henry. De toute manière, la machine était lancée et c’est un pur prodige du cinéma de la Belle Province qui émerge aujourd’hui en pleine lumière.