C’est une exposition très hétérogène que nous propose pendant les deux prochains mois le Château d’Eau. Hétérogène, mais logique car les quatre photographes exposés ont pour thème commun de s’accaparer le Monde qui les entoure.
L’Europe d’abord, avec le regard très original de Nolwenn Brod. S’appuyant sur ses origines bretonnes, elle tente de redécouvrir les paysages de son pays au travers de portraits. Créant un lien direct entre les Hommes et la Nature (lien qui se retrouve étroitement imbriqué dans la structure même de sa photographie), l’analogie se fait facilement chez le spectateur, où la pilosité d’un individu s’associe par exemple à une touffe végétale.
De là sort une sensibilité toute particulière, presque une poésie de l’instant et du corps. Les éléments sont dénaturalisés, rendus presque abstrait tant leur familiarité est mise à l’épreuve. Redécouvrir notre monde au travers de photos réalistes : voilà donc le pari de Nolwenn Brod et de ses séries « Même une jument est une espèce d’homme », « La Ritounelle » et « Ar Gouren, et autres visions ». Ainsi, elle se détache tout à fait de la photo documentaire, apportant un véritable regard esthétique sur notre environnement, le voyant à sa manière.
Voir le Monde à sa manière, c’est aussi le cas du deuxième photographe mis en parallèle dans cette exposition par le Château d’Eau : Shane Lavalette. Cet américain de 27 ans transmet au travers de son oeuvre une vision « cliché » du Sud américain, cliché mais réaliste. Il transmet cette vision que nous pourrions avoir – et qu’il a lui-même eu – au travers du Cinéma et de la Musique. Il transmet une image vue et revue, et qu’il veut pourtant nous faire redécouvrir. De fait, il associe énormément la photographie à la musique, et notamment la musique noire de l’époque, entre gospel et blues. C’est donc sur un air à la Lightnin’ Hopkins que la visite se fait; et le sentiment de voyage est perceptiblement présent dans les yeux du spectateur. Voici ce que dit l’artiste lui-même sur son oeuvre :
« J’arrivais réellement à m’immerger dans le vieux temps, le blues et le gospel et j’étais absorbé par les sujets de ces chansons : souvent des histoires d’amour, de travail, de religion, ou des sujets de nature, de lutte et de perte.J’étais aussi intrigué par le rôle de l’endroit où elle est faite […]. Cela ne m’intéressait pas de faire un documentaire, mais je voulais plutôt me laisser transporter par la musique et trouver les images poétiques et musicales du paysage du sud américain. Je voulais explorer l’idée à travers les images, dans un sens plus abstrait. »
Ces deux photographes s’estiment donc indépendants de la photographie documentaire, mais veulent tout deux, à leur manière, nous éprouver une réalité, poético-abstraite pour l’une, musicale pour l’autre. C’est cette même notion de réalité que nous retrouvons dans la galerie 2, mais l’espoir présent dans les musiques noires va se transformer alors en malheur apparent.
Romain Laurendeau est toulousain, mais sa photographie est algérienne. Elle montre avec brio les « stigmates » du passé sur la ville de Bab El Oued, qui a d’ailleurs donné son nom à la série photographique exposée par le Château d’Eau dans leurs « Conversations Algéroises ». Sur fond de séisme politique après les violentes émeutes qui ont secoué cette ville en 1988, sa photo se veut le miroir d’une pauvreté absolue, d’une décrépitude de la ville et de ses habitants. Pourtant source d’entraide et de solidarité, c’est bel et bien des immeubles en ruines et des SDF qui s’offrent à nous ; avec pourtant un quelque chose de gai, presque imperceptible. Par le prisme de photographies en noir et blanc très contrastées, il nous montre une ville abandonnée, témoin d’une pauvreté inénarrable. Jouant alors des courbes architecturales urbaines et de portraits marquants et marqués ; c’est un portrait de l’Homme que tend à faire Romain Laurendeau, le portrait d’une ville, le portrait d’une société. A moins ce que ce soit, certainement, le mélange de tout cela.
C’est cette même Algérie, ce même Alger qui répond en face à face dans les œuvres de Maude Grübel. Pourtant, il semble un tout autre univers. Ses « Jardins d’Essai », colorés contrairement aux photographies de son homologue, nous dévoile des jeunes algériens perdus certes, mais libres. En accord avec une nature bien vivante, il semble ressourcés, et ce sont des jeunes plein d’envie que l’on découvre alors. Certes, le vide reste présent, mais sa matérialisation sur la photo devient poétique, tandis que les immeubles en ruine de Romain Laurendeau venaient noircir matériellement le quotidien des habitants. Avec cette série, la Diplômée de l’Académie de photographie de Munich nous montre le lien étroit entre Histoire et poésie, mais elle fait également écho à la série de Nolwenn Brod en mettant en lien direct l’Homme et la Nature qui l’entoure. Alors se pose un jeu de présence/absence, où le mutisme de la vie se transforme en lyrisme, au travers de tout ce que suggère – sans montrer vraiment – la photographie de la photographe allemande.
Vous l’aurez compris, le voyage est une fois de plus au rendez-vous dans cette très belle exposition du Château d’Eau. Tranchant nettement avec les séries plus abstraites des précédentes expositions (que vous pouvez retrouver ici et là), celle-ci nous offre un réalisme tour à tour poétique ou poignant, au travers de tous les environnements dans lesquels il prend place. Toujours l’Homme est mis au centre de son quotidien, différenciant les photos exposées des mouvements de paysages ou de documentaire par exemple. Une voyage spatio-temporel très réussi en somme, pour une exposition aussi cohérente qu’intéressante.
David Vacher
Galerie du Château d’Eau
Exposition du 9 Mars au 30 Avril 2017, ouverte du mardi au dimanche de 13h à 19h
Entrée hors réduction : 3.50€
Tous les renseignements ici.