Compte rendu opéra. Toulouse, Théâtre du Capitole, les 29 janvier, 3 et février 2017 ; Mozart: L’enlèvement au sérail ; Jane Archibald, Konstanze; Tito Ceccherini / Tom Ryser.
Il n’est pas facile en ces temps incertains de proposer une nouvelle production de l’Enlèvement au Sérail de Mozart. Cet ouvrage si allemand par le livret et si italien par les prouesses vocales, si intense par la beauté des lignes musicales, si profond par le fond et si bouffe par la forme, a tout pour plaire au public et tenter les metteurs en scène en mal de mauvais traitements des œuvres. Le Capitole qui le coproduit avec Lausanne, Fribourg et Tours, a fait salle comble.
Enlèvement réussi à Toulouse
Donc le succès public ne se dément pas. La mise en scène au final ne fait pas de mal à l’œuvre et arrive à éclairer de modernité sans exagérer ce livret ambigu. Dès l’ouverture, les draps bleus mouvants évoquent avec poésie le naufrage en terres inhospitalières de nos héros. En suivant avec efficacité la musique, l’ouverture visuellement passe sans heurts. Dans la fosse, le chef italien Tito Ceccherini fait des merveilles. L’Orchestre du Capitole en habits baroques nuance comme dans un rêve et colore avec délicatesse l’univers sonore mozartien. Ce sont à la fois les nuances et les couleurs, les phrasés et le sens du théâtre qui donnent la force à cette interprétation orchestrale de pur bonheur. Et il est connu combien d’instruments obligés sont requis dans cet opéra ! Nous saluons chaque instrumentiste jouant comme en habit de fête. L’énergie et le plaisir partagés entre fosse et scène sont les grandes qualités de Tito Ceccherini. Vocalement si aucun ne déçoit, les chanteurs ne sont pas égaux. La voix la plus extraordinaire est celle de Jane Archibald en Constance. Nous l’avions entendu en sensationnelle Reine de la Nuit en 2010 à la Halle-aux-Grains. Il n’y a donc pas de craintes, les aigus sont là, dardés comme il convient. Le style accompli lui permet d’enjoliver les reprises avec art. Si le premier air la cueille un peu à froid et durcit les aigus, la large voix s’échauffe pour devenir très émouvantes dans le délicat « Traurigkeit » et atteindre sa plus grande splendeur dans le fameux « Marten allen Arten ». Les suraigus tenus sont pleins et vivants, les vocalises fusent sur toute l’étendue de la vaste tessiture et les phrasés sont pleins de la puissance de conviction requise. La cantatrice est habile comédienne et donne vie au personnage extrémiste dans sa vision de l’amour que le prénom symbolise : Constance. Cette sorte d’incarnation de la fidélité absolutiste devient une femme déterminée mais non insensible au charme de Selim ce qui ne fait que renforcer son héroïsme. Jane Archibald est donc la reine vocale de la soirée.
S’il faut chercher un roi, c’est en fait Franz Josef Selig en Osmin. Le chanteur est aussi crédible à voir qu’à entendre. Il campe un rôle humain sous ses excès, presque sympathique et vocalement quelle classe ! Voix au timbre richement abyssal qui se promène en toute tranquillité sur tout l’ambitus de ce rôle complexe et exigeant. La beauté du timbre, les nuances et surtout la tenue de ligne sont magnifiques. Nul ne pourra être déçu de la voix souple et ensoleillée de Mauro Peter en Belmont. La raideur de la tenue en scène convient bien au noble imbu de ses privilèges de naissance. Mais vocalement, il n’est pas tout à fait au niveau de sa partenaire Constance. Lors du deuxième soir, en bien meilleur maîtrise technique, il arrive à nous convaincre que son dernier air à la virtuosité folle lui convient. Le couple Blonde, Pedrillo est vocalement plus assorti. Le charme vocal et l’abatage de Hila Fahima, son jeu mutin, ses aigus voluptueux, tout est succulent.
La suffisance effrontée du personnage de Pedrillo trouve un écho dans la voix bien projetée et plus modeste de Dmitry Ivanchey et son jeu facile. Le dernier personnage qui lui ne chante pas est le pacha Selim. En s’abrogeant ce rôle, le metteur en scène Tom Ryser se fait plaisir et retrouve son premier métier d’acteur. Cela permet une vue de l’action plus marquée par le regard de ce personnage important. Si cela n’est pas complètement convainquant par des redites (fétichisation du corps de ses femmes), cela fonctionne jusqu’au bout. Et le dernier geste du puissant qui vient de faire clémence et offre sa veste à Constance qui frissonne avant son voyage en mer, permet de faire ressortir un lien délicat de son coté mais pas sans effet sur Constance. Ce grand seigneur, même mal rasé et furieux, ne manque pas d’un certain charme. Et son rapport jusqu’au-boutiste à l’amour n’a t-il rien à voir avec la vision de Constance ? Ce n’est pas si évident.
La mise en scène est donc riche en bonnes idées mais reste inaboutie. De grandes beautés néanmoins : le naufrage, le jeux entre Constance et Selim, Blonde et Osmin, Pedrillo et Osmin, le final dans son ensemble. Mais aussi des lourdeurs, dans les dandineries de Pedrillo à la manière post John Travolta de Grease ou les interminables scénarii pervers de Selim enfermé dans son deuil impossible et son fétichisme. Les costumes de David Belugou et Stéphane Laverne revisitent assez habilement en le modernisant, l’exotisme, ici tout militaire, de la turquerie. Mais ils ne sont pas vraiment beaux et ne font pas rêver… Les décors de David Belugou sont globalement tous réussis mais une certaine lassitude s’installe avec les images suspendues. Et quelle maladresse de demander à Constance, en sa sublime tristesse, de se baisser pour passer sous un rideau …. Les lumières habiles de Marc Delamézière essayent de varier un dispositif au final un peu lassant.
Cette production est très appréciée du public et obtient un beau succès à Toulouse. Elle a en tout cas le mérite de ne pas nuire à une partition délicate et même de mettre particulièrement en valeur dans le message final de clémence, une phrase que nous devrions ne jamais oublier et toujours répéter en choeur sur toute la planète :
« Nichts ist so hässlich als di Rache ! » : RIEN N’EST PLUS VIL QUE LA VEANGEANCE !
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Compte rendu opéra. Toulouse, Théâtre du Capitole, le 3 février 2017 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : L’enlèvement au sérail, Die Entführung aus dem Serail ; Opéra-bouffe en trois actes sur un livret de Gottlieb Stéphanie le Jeune créé le 16 juillet 1782 au Burgtheater de Vienne ; Nouvelle coproduction avec l’Opéra de Fribourg, l’Opéra de Lausanne et l’Opéra de Tours ; Tom Ryser, mise en scène ; David Belugou, décors ; Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne, costumes ; Marc Delamézière, lumières ; Avec : Jane Archibald, Konstanze ; Mauro Peter, Belmonte ; Hila Fahima, Blonde ; Dmitry Ivanchey, Pedrillo ; Franz Josef Selig, Osmin ; Tom Ryser, Le Pacha Sélim ; Chœur du Capitole , Alfonso Caiani Direction ; Orchestre National du Capitole ; Tito Ceccherini, direction musicale. Illustrations : P.Nin.