Moonlight, un film de Barry Jenkins
Chiron est un petit garçon black de cette banlieue de Miami ultra dangereuse car entre les mains des dealers. Sa vie n’est pas très agréable. Imaginez, un père disparu dans la nature et une mère toxico, voire plus… Qui plus est, le pauvre freluquet, tel un oiseau tombé du nid, est la proie de tous ses congénères, un rien plus baraqués. Il vit un vrai martyre d’autant que quelques mots qui lui sont envoyés à la figure ne cessent de l’interroger.
Pour son bonheur, Juan (formidable Mahershala Ali), le caïd du coin, a pitié de lui et le prend sous son aile. Il va lui apprendre à se protéger, à nager même et à grandir. Voilà pour la première partie du film. Fondu au noir et nous voilà avec un Chiron de 16 ans, au collège, toujours aussi malingre et toujours pas de filles dans son environnement. Tête de turc de sa classe, il finit un jour par exploser et fracasse une chaise sur le dos de son tortionnaire. Direction prison. Mais avant cela, il aura connu ses premiers émois dans les bras de Kevin, une scène magnifique de pudeur, de retenue, mais d’une puissance émotionnelle rare. Fin de la seconde partie.
Le troisième et ultime chapitre du film nous fait faire un saut dans le temps d’une dizaine d’années. Chiron a compris que les biscottos ont souvent force de loi. La prison lui a donné tout le temps de se parfaire des pecs redoutables. Chiron est aujourd’hui Black, il est devenu un patron redouté et redoutable de la pègre locale. Rien ne semble l’atteindre, avec ses fausses dents en or et son gigantesque 4X4. Jusqu’à ce coup de fil inattendu…
Largement autobiographique, tourné sur les lieux mêmes où grandit le réalisateur (Liberty Square), avec les risques que cela supposait, le second opus de Barry Jenkins, d’une remarquable beauté graphique, nous entraîne sur les étapes d’une vie au travers des regards de Chiron enfant (Alex R. Hibbert), puis adolescent (Ashton Sanders), enfin adulte (Trevante Rhodes). Traiter de la découverte de son homosexualité dans un milieu black aussi viril et boursouflé de testostérone était un pari risqué. Barry Jenkins, aidé par des comédiens de tous âges absolument superlatifs, prend ce chemin de traverse avec une finesse de ton qui force l’admiration et l’émotion. A contrecourant une certaine mythologie urbaine et des stéréotypes qu’elle suggère, il délivre un film dans lequel la cruauté d’un environnement social ultra violent se conjugue avec la profondeur et la brûlure de sentiments intimes aussi puissants qu’inavouables. Dans le silence des regards se tissent alors de sublimes aveux.
Avec 8 nominations aux futurs Oscars, voilà le challenger n° 1 de La La Land.
Robert Pénavayre