Fiction sur les rouages d’un parti politique extrémiste, Lucas Belvaux signe une nouvelle fois avec « Chez nous » un film humaniste qui nous interroge.
Pauline (Émilie Dequenne) est infirmière à domicile entre Lille et Lens. Elle est appréciée et écoutée par toute sa patientèle, à l’exception de son père (Patrick Descamps), métallurgiste communiste à la retraite, qui préfère écouter ses envies plutôt que de suivre ses recommandations et les prescriptions médicales. Elle élève seule ses deux enfants et peut compter sur l’aide de ses amis, dont Nathalie (Anne Marivin), enseignante ou Nada (Charlotte Talpaert). Un soir, le médecin Berthier (André Dussollier), qui a été d’un grand soutien pendant le cancer de sa mère, lui propose de se présenter aux prochaines municipales, sur la liste d’Agnès Dorgelle (Catherine Jacob), présidente du Rassemblement National Populaire.
Lucas Belvaux signe avec Jérôme Leroy, auteur du roman Le Bloc, une fiction sur les rouages d’un parti extrémiste. Avoir une image irréprochable avec casting de candidats locaux, aucun dérapage verbal, contrairement au Bloc Identitaire, parti extrémiste du père d’Agnès Dorgelle. Inspirés de faits clairement reconnaissables, le film tient d’abord par l’écriture rigoureuse de tous ses personnages. Qu’ils soient principaux ou secondaires, aucun n’est cliché, dans le sens où ils ne sont caricaturaux, pas un personnage pour un trait de caractère. Les personnages sont présentés dans leurs contradictions, qu’elle soient rapidement identifiables ou dévoilées au fur et à mesure que l’intrigue avance. L’autre point indispensable à cette écriture est que tout, vraiment tout le casting, est parfait. Des enfants, au commerçant qui a deux répliques, aux rôles plus présents, chaque acteur interprète remarquablement les nuances de son rôle.
Naturellement empathique et en manque de reconnaissance, Pauline va faire confiance à ce médecin, véritable figure paternelle, qui a des réponses bien rodées à chacune de ses interrogations. André Dussolier excelle dans la duplicité de son personnage, bienveillant et calculateur. Tout comme la parfaite Émilie Dequenne (pléonasme) qui évite la naïve sotte, à qui on pourrait faire croire tout et n’importe quoi. Son personnage croit aux gens plus qu’aux étiquettes. Preuve en est son attirance pour Stanko (Guillaume Gouix), ouvrier et entraîneur de foot de son fils dont le passé violent au sein du Bloc Identitaire est connu de tous. La composition d’Émilie Dequenne fait qu’on avance toujours avec Pauline, sans la juger, et c’est assez admirable.
Deux autres éléments du film sont aussi judicieux : le choix de la ville, et le rapport aux médias. Que l’histoire se déroule dans le nord de la France n’est pas un hasard puisque cette région porte les stigmates de son passé (obus des bombardements qui affleurent le sol, reconversion des mines en pistes skiables). Le traitement des médias est aussi d’une grande justesse : de l’émission de divertissement raillant les hommes politiques, aux émissions politiques où l’on perçoit en premier une plaisanterie avant d’entendre une réelle analyse, ayant la longueur d’un court tweet. La distinction entre les deux types de programme n’est plus si claire. Pas une critique des journalistes, mais la facilité à ne plus aller chercher des analyses dignes de ce nom.
Beaucoup sont déçus par les politiques, comme Pauline qui « fait avec » puisque « gauche ou droite, rien ne change ». Le réalisateur pointe le glissement imperceptible du désenchantement vers l’amertume, puis vers la colère. Ces phrases entre amis comme « ce sont toujours les mêmes qui volent ». « Les mêmes » – qu’on ne relève plus, par banalisation, adhésion, ou peur de gâcher l’ambiance- glisse imperceptiblement en « ceux moins français que nous », plus marqué. Certains incidents favorisent les amalgames, et internet les relaie via la « fachosphère ». La peur et la haine ouvrent alors la voix aux idées d’un parti prônant le renouveau. Tous ces éléments, pourtant nombreux, participent à la réussite de ce film. Il faut être aussi talentueux et humaniste que Lucas Belvaux pour faire un film sur le fil, avec un tel sujet. Comme dans ses précédents longs-métrages, on s’interroge. Qu’aurais-je fait ? Si vous êtes convaincus que ce nauséeux jeu de dupe qu’est le populisme dresse les gens les uns contre les autres, fermeriez-vous votre porte à une infirmière compétente et bienveillante car son parti politique est extrémiste ?
Date de sortie 22 février 2017