Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine
du 15 novembre 2016 au 28 janvier 2017
Plus que quelques jours pour pouvoir admirer (gratuitement !) une sélection de manuscrits médiévaux conservés par la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine de Toulouse. Cette collection, constituée de 150 manuscrits médiévaux, 20 incunables et 500 livres imprimés, rassemble les vestiges d’un ensemble plus considérable mais perdu au fil du temps et des aléas de l’Histoire : la bibliothèque de l’ordre des Dominicains de Toulouse, l’une des plus importantes collections dominicaines de France.
Jamais présentés au public jusqu’alors, c’est une occasion unique et privilégiée de découvrir avec cette trentaine de manuscrits médiévaux un pan important de l’histoire toulousaine à travers celle de l’ordre des Frères Prêcheurs.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre des commémorations des 800 ans de la fondation à Toulouse de l’ordre dominicain, l’un des plus importants ordres religieux du Moyen Âge. Devant la montée en puissance de l’hérésie cathare en Languedoc, le chanoine espagnol Dominique de Guzmán fonde en 1215 la première communauté dominicaine, confirmée par le Pape en 1216 sous le nom des « Frères Prêcheurs ».
Cet ordre mendiant, vivant de la charité et en communauté, était installé en ville directement au contact de la population (contrairement aux moines reclus dans les monastères) : les frères pouvaient ainsi sortir pour accomplir leur mission de prédication. Le Pape leur confia, ainsi qu’aux franciscains, l’institution de l’Inquisition (d’inquisitio, enquête : tribunal ecclésiastique d’exception muni de pouvoirs d’enquête et de jugement) destinée à combattre les hérésies.
« Puisque les livres sont nos armes, il faut s’employer à les multiplier dans la bibliothèque commune » : cette règle, une des premières de l’ordre, démontre bien l’importance des livres et de l’étude pour l’accomplissement de la vocation doctrinale de l’ordre, en lutte contre les hérésies. Les divers manuscrits exposés sont pour nous de formidables témoignages sur la vie de cet ordre, mais aussi des pratiques de l’Inquisition, comme le montre la petite sélection suivante.
Le Missel à l’usage des dominicains de Toulouse (fin XVe s.) comporte une représentation de saint Dominique, revêtu du traditionnel habit blanc et noir des dominicains et portant un bouquet de fleurs de lys, symbole de pureté, tandis que dans la marge des perroquets illustrent son éloquence. Le Manuel pour l’instruction et la consolation des novices (vers 1300), seul exemplaire connu de ce texte, est une sorte de guide pour accompagner spirituellement les novices durant leur année de probation : des illustrations pédagogiques accompagnent des notions d’ordre mystique correspondant à des moments de la vie quotidienne (par exemple, on soigne non plus le corps mais l’âme malade à l’infirmerie du couvent grâce au repentir-remède).
Outre ces témoins de la vie de l’ordre, de grands classiques de l’enseignement dominicain sont également présentés : le Livre des Sentences (1290-1315) de Pierre Lombard, texte fondamental traitant de théologie, lu et commenté quotidiennement avec la Bible par les frères ; Fleur des Chroniques (vers 1300) avec de beaux arbres généalogiques des papes, empereurs et rois de France depuis les origines et leurs portraits et le Miroir des Saints (1329-1331) illustré d’une pie et d’un perroquet, motifs décoratifs sans doute symboliques ici (le blanc et noir de la pie rappelant les habits dominicains, et le perroquet l’éloquence du prêche) de Bernard Gui ; ou encore le richement orné Lecture sur la Bible (XIVe s.) de Dominique Grima (commanditaire de la magnifique chapelle Saint-Antonin des Jacobins).
Plusieurs manuscrits sont de précieuses sources quant à l’Inquisition : La pratique inquisitoriale de Bernard Gui (1331-1399) est le parfait petit guide de l’inquisiteur, dispensant les bons conseils pour rechercher et interroger efficacement les suspects soupçonnés d’hérésie (formules types, peines à infliger, prévention des ruses des hérétiques…) ; ou encore deux manuscrits, exceptionnels car très rares : deux registres médiévaux de l’Inquisition, contenant les retranscriptions d’enquêtes inquisitoriales. Le premier, écrit sur papier (très rare au XIIIe s.) est une copie réalisée 20 ans après l’enquête sans précédent menée auprès de 5500 habitants du Lauraguais convoqués dans le cloître de Saint-Sernin entre mai 1245 et août 1246 ; le second (issu d’une collection privée et exposé au public pour la première fois !) contient les dépositions de 37 hérétiques d’Albi recueillies de décembre 1299 à mars 1300.
Dans le cadre de l’exposition, exceptionnelle à elle seule, un programme d’animations gratuites a été proposé, dont la variété et l’accessibilité à tous les publics est remarquable : visites guidées de l’exposition mais aussi des Jacobins (espaces où étaient conservés les manuscrits), visites tactiles pour les personnes déficientes visuelles, concerts, ateliers de calligraphie et lettrines pour enfants et adultes, conférences et journées d’étude où les meilleurs spécialistes étaient présents.
J’ai ainsi pu assister à la conférence de Laurent Albaret (historien spécialiste des inquisitions médiévales méridionales) sur l’inquisition médiévale à travers des extraits du film Le Nom de la Rose : prisme original et fort instructif, les producteurs américains ayant fait réviser à la sauce hollywoodienne certaines réalités historiques… !
J’ai également eu la chance de pouvoir assister à une visite exceptionnelle : une visite guidée de l’exposition … à la bougie ! Rassurons d’abord tous ceux qui s’effraieraient (à juste titre) de la proximité des manuscrits et d’une flamme : il s’agissait, bien sûr, d’une inoffensive bougie électrique. Dans l’obscurité et l’intimité de la salle réservée à notre petit groupe, tout en écoutant les explications de notre guide, ce fut un voyage par-delà les siècles : la chaude luminosité des bougies recréait l’ambiance d’autrefois, tout en révélant les ors et les couleurs chatoyantes des enluminures … sensation d’un moment hors du temps, magique !
Enfin, un autre exemple de médiation particulièrement réussie autour de l’exposition pour clôturer en beauté cette visite : la reconstitution détaillée d’un atelier de copiste médiéval par AVE Culture et le scénographe Aymeric Rufie. Cette reconstitution historique s’appuie sur la production d’objets réalisés à partir de sources écrites, iconographiques et archéologiques. L’une des sources iconographiques est cette enluminure issue des « Grandes Chroniques de France » (XVe s.) représentant un évêque et un copiste au travail. On y retrouve par exemple, entre autres meubles, un lutrin tournant, qui a servi de modèle pour la reconstitution de celui de l’exposition. Outre le mobilier et le manuscrit (par Sonia Lê van, double page enluminée par Lucile Gesta), on retrouve dans cette installation tous les petits accessoires de l’enlumineur, reconstitués eux aussi avec soin et rigueur scientifique par des artisans spécialisés : canivet, capsae, encrier, calames et plumes, pince et plombs à parchemin, besicles, stylets, corne à encre, pigments, règle…. Les contenus pédagogiques de la borne numérique (réalisation : Anagram-Audiovisuel) complètent cette découverte du mobilier d’un scriptorium et du matériel utilisé par les copistes.
Qui ne rêverait pas, face à cet atelier, de s’assoir devant le lutrin dans le fauteuil cathèdre, de chausser des binocles et de s’emparer d’une plume pour enluminer des manuscrits à la lueur d’une bougie … ?
Mariette Escalier
http://www.bibliotheque.toulouse.fr/en/dominicains_expo.html
http://www.bibliotheque.toulouse.fr/en/livret_dominicains.pdf
Merci à Valérie Dumoulin, assistante de conservation en charge des médiations de l’exposition, pour sa passionnante visite à la bougie !
Et un grand merci également à Aurélien Vigouroux d’AVE Culture pour ses explications éclairées sur la démarche de reconstitution du scriptorium.