À Toulouse, l’exposition « Fenêtres sur cours » exhibe au musée des Augustins près de 90 tableaux, de la fin du XVIe jusqu’aux années 1930, représentant des cours intérieures.
Musée des beaux-arts de Toulouse, les Augustins est un ancien couvent construit autour d’un grand cloître gothique et d’un petit cloître Renaissance (photo). Ses collections contenant plusieurs tableaux des XIXe et XXe siècles représentant des espaces de cours intérieures réelles ou imaginaires, l’idée d’un parcours pictural autour de ce thème a donc naturellement émergé. Commissaire de l’exposition «Fenêtres sur cours», et directeur du musée des Augustins, Axel Hémery explique : « Nous avons choisi ce titre parce qu’il est à la fois évocateur et poétique. L’exposition tourne bien autour du regard et de la richesse des confrontations suscitées, même si nous ne sommes pas dans le voyeurisme mais dans la contemplation esthétique du spectacle de la vie ».
C’est la toute première fois que ce thème fait l’objet d’une exposition, « car il rassemble des univers assez différents. Sa cohérence s’impose avec un corpus varié. Mon idée consiste à proposer au visiteur une exploration de la peinture sur des chemins de traverse. Les grandes questions du paysage, de la perspective, de l’ombre et de la lumière, de la célébration du passé, de la vie sociale et de la grande histoire sont posées de manière indirecte », précise Axel Hémery. De la fin du XVIe jusqu’aux années 1930, près de 90 tableaux tissent un parcours articulé autour des types de lieux et des fonctions. Sept thématiques explorent ainsi tour à tour les représentations de l’atrium et du patio (« du péplum à l’orientalisme »), du cloître (« entre pittoresque et mysticisme »), des cours de palais (« scénographie et splendeur »), des cours de ferme (« l’air de la campagne »), de la cour « comme lieu de vie », des cours urbaines («surprises et métamorphoses de la ville»), et de la cour « théâtre de l’histoire ».
Tout au long de la visite se succèdent des lieux chargés d’histoire (l’Alhambra, le palais des Doges, le château de Fontainebleau, la Salpêtrière, le Mont Saint-Michel) jusqu’à l’Histoire avec un grand H pour laquelle la cour constitue un cadre privilégié. Le XVIIe siècle nordique est très présent, avec des peintures de cours de tavernes, de maisons ou de palais fantasmagoriques. Le XIXe siècle français également pour les cloîtres reconstitués à la troubadour ou laissés à l’état de ruines, le goût néo-grec et ses atriums, les réalismes et leur regard chirurgical porté sur la misère urbaine.
« L’exposition est extrêmement ouverte avec un grand nombre d’artistes et d’écoles. Toutefois, il est des peintres dont l’univers tourne autour de la question de la cour. Certains sont connus comme Boudin, Decamps ou Corot, les chantres de la cour de ferme. Je pense que les véritables découvertes de l’exposition sont le Catalan Santiago Rusiñol et le Lombard Gian Filippo Usellini. Rusiñol est présent avec deux de ses célèbres « Patio bleu », ainsi qu’un « Cloître de Sant Bages » et son « Mont de Piété ». Gloire de la peinture catalane du tournant du siècle, admiré et détesté par Picasso, Rusiñol est un poète mélancolique fasciné par les thèmes de la pureté, du mysticisme et de la beauté. Il déploie un sens aigu du cadrage et une grande subtilité chromatique. C’est un artiste rare et esthète », assure Axel Hémery.
« Usellini fut un peintre singulier aux marges des avant-gardes du XXe siècle. Nous présentons de lui « le Parachute », une scène onirique se déroulant dans la cour-portique d’un couvent, et « le Nuvole » (Le Nuage), ou le monde vu par le regard d’enfants émerveillés. Proche de la peinture métaphysique mais indépendant, Usellini était aussi fasciné par la permanence de la peinture italienne, reprenant les techniques de la Renaissance dans une peinture intemporelle », relate le directeur du musée.
Parmi les multiples découvertes à apprécier, on s’attardera aussi devant un tableau d’envergure dont la présentation à Toulouse est un événement : « Le Docteur Pinel libérant les aliénées à la Salpêtrière en 1795 » (photo) est une imposante huile sur toile de Tony Robert-Fleury, datée de 1876, qui n’avait en effet jamais été déplacée. Cette œuvre de grand format (355 x 490 cm) accrochée dans un lieu inaccessible de l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, est pourtant l’un des chefs d’œuvre de la peinture académique française. Elle a été restaurée à l’occasion de l’exposition : le traitement du support et de la couche picturale, sur toile de lin très oxydée et par endroit déchirée, a notamment permis une meilleure perception des personnages secondaires. Afin d’être acheminée, la toile a été roulée avant d’être remise sur son châssis à Toulouse.
La redécouverte de cette œuvre met en lumière le peintre Tony Robert-Fleury, à qui l’on doit de nombreuses fresques décorant les murs d’institutions parisiennes, dont l’Hôtel de Ville, l’Hôtel-Dieu, ou encore le Palais du Luxembourg. Dans ce tableau ambitieux par son sujet et sa composition savante pleine d’empathie pour les personnages, Robert-Fleury s’intéresse à un épisode majeur de l’histoire de la psychiatrie, celui de la libération des aliénés de la Salpêtrière par Pinel. Docteur en médecine à Toulouse en 1773, Philippe Pinel est en effet l’un des pères de la psychiatrie moderne. Auteur d’ouvrages traitant de l’aliénation mentale, il fut nommé médecin de l’hôpital psychiatrique de Bicêtre en 1793, puis médecin-chef à la Salpêtrière en 1795. Supprimant à chaque fois l’usage des chaînes et des saignées dans ces établissements, il s’attacha à valoriser le respect du patient.
Jérôme Gac
une chronique du mensuel Intramuros
Jusqu’au 17 avril, au Musée des Augustins,
21, rue de Metz, Toulouse. Tél. : 05 61 22 21 82.
Crédits Photos :
« Le Petit cloître des Augustins »,
Georges François Castex, 1897
© Musée des Augustins
« Le Docteur Pinel libérant les aliénées à la Salpêtrière en 1795 »
© Centre national des Arts plastiques, Paris / photo RMN