Le 14 décembre 2016 sortira Cigarettes et chocolat chaud, premier long-métrage de Sophie Reine, qui s’était déjà fait remarquer par son court-métrage Jeanine ou mes parents n’ont rien d’exceptionnel, et par son travail de monteuse qui lui vaudra un César en 2009 pour Le premier jour du reste de ta vie. En résumé, Sophie Reine a du talent pour raconter des histoires, et Cigarettes et chocolat chaud est une belle histoire, à voir en famille, ou même en solo. En attendant la chronique du film, voici ma rencontre avec sa réalisatrice Sophie Reine et Gustave Kervern en super papa.
Cigarettes et chocolat chaud a des points communs avec votre court-métrage Jeanine : le rongeur, la voiture douteuse pour aller à l’école, les séquences d’animation, être dans la norme ou pas. Le court était-il un avant-goût du long, et comment se renouveler en gardant un univers si personnel ?
Sophie : Avec le court, on tâtait un espèce d’univers. C’est ma productrice Isabelle Grellat de Madarin qui m’a proposé un jour, alors que j’étais monteuse chez eux, de réaliser un film. Elle aimait quand je lui racontais ce qu’il s’était passé chez moi quand j’étais petite. On est parti dans l’univers de Jeanine dans le court, qu’on a prolongé dans le long. Dans le court, j’avais ma famille qui jouait, et maintenant, j’ai des acteurs, le hamster est devenu un cochon d’Inde (rires). Mais par exemple, chez moi, mes parents nous laissaient peindre sur les murs ce qu’on voulait. On a du coup beaucoup laissé les filles faire la déco. Et puis un court-métrage, c’est aussi pour expérimenter plein de choses. Il y a eu beaucoup d’écriture car il y a beaucoup plus de choses qui se passent dans un long. L’écriture m’a demandé quatre ans, parce que je continuais à monter en parallèle.
Après la lecture du script, vous avez dit à Sophie « pourquoi moi ? je ne suis pas acteur ». Z’êtes sérieux ?
Gustave : J’ai joué dans nos propres films, mais mon premier gros film est Dans la cour, il y a deux ans. J’ai quand même 54 ans. Je doute énormément, donc quand on vient me voir pour me dire « ce serait génial si tu jouais dans mon film », j’hallucine, comme d’avoir été dans la loge de Catherine Deneuve, où des fois je me disais « mais qu’est-ce que je fous là ! ». C’est con à dire, mais c’est comme un conte de fée. Chaque « je te veux » m’étonne car je n’ai pas fait énormément de choses. Je suis vachement touché, et en même temps, je n’ai pas envie de faire n’importe quoi non plus. Le danger des comédiens est de faire plein de films et que ça n’amène à rien. Je n’ai pas envie de ça, et je ne sais pas dire non.
Sophie m’a contacté avec une lettre manuscrite. Elle est monteuse -j’aime bien les techniciens, on ne leur rend pas assez hommage, à part une fois par an aux Césars… mal-, et elle est une Grolandaise absolue. Je me méfie un peu des comédies familiales car ça peut être assez comédies populaires pas terribles, mais je voyais que l’univers de Sophie et son enthousiasme amenaient autre chose. Et puis, cela me faisait plaisir de travailler avec Camille Cottin. Pour toutes ces raisons, j’ai dit oui et je ne le regrette pas. Je suis content car Sophie est vraiment une réalisatrice, car le fait de rajouter au montage plein d’animations fait qu’elle ne propose pas un film normal. Un film, c’est un univers, et Cigarettes et chocolat chaud a une vraie personnalité.
Vous n’avez édulcoré aucun drame que vit cette famille.
Sophie : L’intérêt d’être un petit film fauché est qu’on n’a eu pas une pression de fou de la part de Mandarin. On ne s’est pas contraint, dans le sens « ne pas dire ça » ou « il faut viser telle personne ». On a fait le film qu’on avait envie de faire.
Gustave : C’était ma hantise que ce soit un film avec de bons sentiments, car j’ai vraiment du mal. Les bons sentiments ne me dérangent pas quand c’est bien amené, qu’on sente que c’est naturel, mais souvent, c’est forcé. Je crois qu’on a évité l’écueil.
Comment appréhendez-vous votre travail d’acteur ?
Gustave : Tout à l’heure tu parlais du film de Tavernier, Voyage à travers le cinéma français. Il raconte une anecdote qui m’a fait tilt. Jean Gabin tourne avec Marcel Bozzuffi, qui était second rôle, et Jean Gabin trouvait qu’il était bon. Il demande au réalisateur de mettre la caméra sur Bozzufi et que lui soit filmé de dos. Il lui conseille d’être dans chaque film un Peau Rouge : si sur la place du Trocadéro il y a un Peau Rouge, on ne voit que lui. Dans chaque film, il faut arriver à tirer son épingle du jeu. J’y pense sans arrêt : il faut que j’amène quelque chose quand je fais des petites apparitions, et quand j’ai le rôle principal, faut que dans chaque scène j’arrive à être le meilleur possible. Sous mes airs de gros branleur, je suis un putain de professionnel.
Sophie : Je trouve Gustave hyper généreux. Il ne pose pas de question et il se donne complètement au projet. Le film tient sur ses épaules.
Travailler avec des enfants ? Et une chèvre ?
Gustave : Les enfants, c’est un mythe. Sauf peut-être avec les petits enfants. Ici , elles avaient 10 et 14 ans, elles comprennent quand tu leur dis un truc. Par moment, elles étaient un peu fofolles mais ça participait à une ambiance géniale sur le plateau. Je n’ai pas vu de différence à tourner avec des enfants, même au contraire. Avec la chèvre, cela a été plus dure. Il y a un classement dans le cinéma pour les difficultés : en 3e position les enfants, en 2e les animaux, et en 1er Brigitte Fontaine. J’ai déjà travaillé avec Brigitte Fontaine donc après, tout est possible.
Le nom de famille Patar est-il un clin d’œil au créateur de Panique au village, Vincent Patar ?
Sophie : Ma maman s’appelait Patary. J’adore leur nouveau court-métrage, il passait avant notre film à Angoulême. Il y a peut-être un univers en commun, que les Patar sont comme ça. Mais du coup, Patar est devenu une expression pour les gens du tournage : « être Patar » c’est être comme le père dans le film. On était une équipe Patar.
Dès l’écriture, saviez-vous que vous ne seriez pas monteuse ?
Sophie : Claire Fieschi et Nassim Gordji, mes deux anciennes assistantes qui montent depuis longtemps, ont été géniales. Elle m’ont mis un poste dans la salle et m’ont fait monter des faux trucs, des séquences qu’elles avaient jetées. Elles m’ont occupée. Ce n’était pas la phase la plus facile car j’avais dû mal à trouver ma place. Je crois que c’est impossible, du moins pour moi, d’avoir le recul nécessaire pour monter le film. Le tournage a duré 8 semaines, et le montage a nécessité 22 semaines. Les filles avaient trouvé le fil assez vite, mais moi, je faisais faire des allers-retours. Le premier montage n’était pas énorme, très peu de scènes ont été coupées, comme celle du speed dating -que j’adorais- dont il ne reste qu’un petit bout. C’était vraiment une très belle séquence, mais on n’a jamais trouvé sa place dans le film. Gustave jouait déjà tellement bien son personnage, qu’elle rajoutait quelque chose qu’on avait déjà compris sur lui. On a réussi à glisser un petit bout.
Y a-t-il eu des séquences écrites qui ne marchaient pas au tournage ?
Sophie : On n’a pas eu ça. Il y a eu des séquences moins réussies, d’autres plus compliquées avec la chèvre. On a enlevé une séquence de chèvre parce qu’on était à la bourre.
Avez-vous vu Captain Fantastic…
Sophie : oui ! (rires). On nous en parlait déjà beaucoup quand il était question qu’on aille à Un Certain Regard à Cannes. Dès qu’il est sorti, ma productrice et moi sommes allées le voir. Il est magnifique, et il n’est pas pareil que le nôtre, même si ça traite des mêmes choses. Des critiques sortent sur notre film et on nous compare beaucoup -en bien, ouf!- avec ce film qui a une autre ampleur, d’autres moyens, Viggo à la place de Gustave (rires).
Votre film a ce qu’il manquait à Captain Fantastic, à savoir la confrontation des deux mondes. Chez vous, le père essaie de suivre les conseils de l’assistante, les envoie chier, puis fait sa sauce.
Sophie : En même temps, on dit tous les deux qu’un autre monde est possible mais chez les Patar, on apprend au fur et à mesure sans théoriser les choses, alors que dans Captain Fantastic, il sait dès le début ce qu’il veut imposer, il est déjà plus dramatique. Nos personnages subissent les choses, alors que chez eux, c’est un autre choix de vie.
Gustave : Avec Captain Fantastic, j’ai vu un film pro-Trump (rires de tous).
Cigarettes et chocolat chaud, réalisé par Sophie Reine, avec Gustave Kervern, Camille Cottin, Héloïse Dugas, Fanie Zanini, Thomas Guy.
En salles le 14 décembre 2016.
Et pour en savoir plus sur ce film, Sophie Reine répond aux autres questions dans le dossier de presse.