Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
D’une manière générale, je n’aime pas que les commerces auxquels je suis attaché ferment. Notamment quand le changement de propriétaire ou de gérant s’accompagne – cas le plus fréquent – d’un changement d’activité. Voici quelques jours, le kiosque à journaux de la place Jeanne d’Arc, non loin de la Compagnie française, a rouvert. Et l’on peut toujours y acheter des journaux – précision non négligeable à l’heure où de moins en moins de gens jugent utiles de payer un ou deux euros un quotidien pour se tenir au courant du bruit du monde quand des journaux gratuits ou les informations et rumeurs dispensées sur la toile ou les réseaux sociaux suffisent.
Il y a quelques années déjà, ce même kiosque avait fermé. L’ancien occupant avait pris soin d’afficher sur la grille du kiosque une feuille sur laquelle était inscrit « Parti à la retraite ». J’avais apprécié ce simple geste de courtoisie à destination de sa clientèle occasionnelle (car il avait dû informer de vive voix les habitués de ce changement notable tant dans leurs habitudes que dans la propre vie du marchand de journaux). Un peu plus tard, quelqu’un avait ajouté au feutre sur la feuille à la suite de « Parti à la retraite » : « de Russie ». Je vis dans cet humour potache une manière d’hommage.
De temps en temps, à une vingtaine de mètres de là, je jette un œil sur la palissade publicitaire recouvrant le bas de la façade de l’ancien immeuble de Lafayette Maison, magasin qui cessa ses activités en septembre 2013. En novembre de la même année, on apprit que l’enseigne irlandaise Primark – marque de vêtements à bas prix – prendrait le relais. Les premiers travaux suivirent peu après et durent encore à ce jour, trois ans plus tard. Sur la palissade, le passant peut apprendre que Primark ouvrira à l’hiver 2017, c’est-à-dire éventuellement début 2018. Tant mieux, je ne suis pas pressé. On peut voir aussi sur cette même palissade des photos de jeunes mannequins arborant, tout sourire, des vêtements de la marque. Cet affichage publicitaire est souvent tagué, détourné par des slogans ou des dessins irrévérencieux, dont les inévitables « dents noires » gâchant le sourire promotionnel des modèles. Cela ne va pas bien loin, mais je dois avouer que, de temps en temps, cet outrage suffit à mon bonheur. Je n’aime pas les « casseurs ». Cependant, les « casseurs de pub », surtout quand ils usent d’un feutre ou d’une bombe à peinture, auront toujours mon indulgence.
Avant Lafayette Maison, il y avait là Au Capitole, « grand magasin » où l’illustre chaîne « Aux Dames de France » s’installa au début du XXème siècle. C’était « La Belle époque », avec une architecture haussmanienne matinée d’Art Nouveau. À l’intérieur, un majestueux dôme en verre et acier trônait sur les vastes escaliers donnant accès aux étages. Des générations de Toulousains s’y presseront pour y acheter des parfums, des tissus, des vêtements et tant d’autres choses. Enfant, à la fin des années soixante-dix, je m’y rendais avec ma grand-mère, ébloui par les lumières, impressionné par les escaliers et les ascenseurs, le crépitement de cette ruche où ce qui nous semblait « le luxe » était abordable par tout un chacun ou presque. Rien à voir avec les commerces d’aujourd’hui qui nous vendent un morceau de viande, un gâteau ou une capsule de café dans la parure d’un magasin de bijoux. Avec la morgue, singulièrement ridicule, que ces simulacres se croient obligés d’adopter. Devenu collégien, en lisant Au Bonheur des Dames au programme de notre cours de Français, je ne fus pas vraiment dépaysé. Le monde décrit par Zola était encore un peu le nôtre. Même au temps des Galeries Lafayette puis du Lafayette Maison, l’endroit conserva son charme et surtout son utilité.
Je regrette aussi la fermeture du Lafayette Gourmet de la rue Lapeyrouse, situé au sous-sol de la maison-mère, qui advint – je crois – en 2011. Outre l’avantage de fermer tard, le Lafayette Gourmet possédait l’avantage de proposer quelques marques rares et constituait un très bon poste d’observation sociologique des mutations en cours – autant à travers la clientèle que par la modification du magasin au gré de l’apparition de coins (disait-on déjà « corner » ?) dédiés à de nouveaux produits. Je me souviens que l’armoire à vins, scellée et réfrigérée, du rayon spiritueux renfermait une bouteille du Domaine de la Romanée-Conti. On croisait encore dans les rayons ou aux caisses des présences familières, des clients ayant les mêmes horaires ou habitudes que soi.
Le Lafayette Gourmet a fermé à son tour, reconverti dès lors dans la vente de chaussures m’avait-on-dit – ce que je ne suis jamais allé vérifier. Ainsi va la vie des enseignes et des boutiques. Et un peu de la nôtre avec.