L’exposition entrecroisée d’Aurélien Froment et Raphaël Zarka a débuté ce 23 septembre et ce jusqu’au 8 janvier prochain. Les deux artistes s’invitent pour une exposition assurément collective au Musée des Abattoirs, en coproduction avec le Printemps de septembre. Une centaine d’œuvres est visible pour faire part d’un vrai dialogue : celui de deux artistes qui semblent presque fraternels, dans leur travail.
Aurélien Froment et Raphaël Zarka : un regard scientifique similaire
Les deux artistes à la démarche quasi mathématique explorent par leur travail, l’histoire des formes : leur stabilité, leur durabilité.
Pour débuter la visite de cette traversée commune, l’ensemble monumental de la nef a été découpé méthodiquement pour accueillir « un gigantesque jardin d’enfants ». Aurélien Froment a effectivement fait sienne, la méthode pédagogique de compréhension des formes et combinaisons géométriques de Friedrich Fröbel : Fröbel « Fröbelé » ou « Fromenté » peut-être ? Disposés sur des tables, les cubes et les bâtonnés en bois, les cylindres et les pelotes de laine, sont rendus accessibles à tous et pas complètement disponibles, à la fois. Cette mise à disposition semble provoquer des interrogations chez le spectateur qui ne sait pas quel comportement adopter. Une œuvre se contemple mais se manipule-t-elle ?
A ce moment même, une pile de bâtonnets s’écroule au contact d’une main baladeuse : regards embarrassés, confus et perplexes des visiteurs. Est-ce grave ? Là est toute la question de l’installation. En outre et en contrepoint des maquettes, des photographies sont disposées en guise de modèles ou de possibles interprétations : des grilles de lecture qui guident le visiteur un peu désorienté, tout compte fait.
Pour ce qui est de Raphaël Zarka, lui aussi rend hommage à la science et tout particulièrement Archimède, découvreur du solide à 26 faces qui fait l’obsession de l’artiste : le rhombicuboctaèdre. A la façon d’un archéologue, Zarka redécouvre et réécrit ce solide, dont il a d’ailleurs entrepris de recenser les représentations dans un « Catalogue raisonné ». Au départ une découverte hasardeuse, elle s’est transformée au gré du temps en spectre récurrent dans la production de l’artiste.
Deux artistes protéiformes exposés au Musée des Abattoirs
Froment et Zarka multiplient les références : cinéma, sciences, sculpture, photographie, dessin. Dans « Les formes du repos », Zarka explore par la photographie, la permanence des ouvrages bâtis, industriels et délaissés dans une nature finalement accueillante. Comme oubliés, ces ouvrages paraissent étonnement s’intégrer dans le panorama. Les questions d’écoulement du temps et de pérennité des œuvres bétonnées, semblent se poser.
Auteur de trois essais sur la pratique et l’histoire du skateboard, Raphaël Zarka met aussi en lumière l’espace urbain utilisé par les skateurs. L’artiste s’intéresse à l’appropriation par les skateurs des sculptures disposées dans l’espace public ou privé en tant que modules. Il crée alors ses propres « sculptures instrumentales », à emboiter les unes aux autres pour créer de véritables œuvres skatables. La réalisation de ces modules intègre une certaine réflexion sur le mouvement à l’intérieur d’un musée, d’ordinaire plutôt immobile et figé.
Froment de son côté, par l’association et l’assemblage d’images diverses dans « Théâtre de poche », vidéo réalisée en 2007, anticipe une évolution technologique : le balayage d’images sur les tablettes numériques. Il reprend cette idée de Steven Spielberg dans son film « Minority Report », comme pour dénoncer avant même qu’il n’existe, un geste tellement répété, aujourd’hui.
Le cinéma : une thématique omniprésente
Prend-on le temps de s’installer dans un musée pour apprécier un film projeté ? Zarka et Froment tentent la proposition simultanément. Les deux artistes déclinent généralement leurs œuvres à travers une diversité de supports mais aussi de médias dont la vidéo narrative. Pour l’un, Raphaël Zarka, il s’agit d’évoquer le plus grand rhombicuboctaèdre qui existe, installé sur le toit de la bibliothèque du Belarus à Minsk, dans une vidéo assez hypnotique. Pour l’autre, Aurélien Froment, dans « The Apse, the Bell and the Antelope », il est question d’une véritable description : celle d’une ville expérimentale et son architecture : une sorte de microcosme suspendu dans le temps. Le film est pour ainsi dire une visite guidée qui semble ne jamais cesser.
Deux productions distinctes qui traitent finalement d’une seule et même idée : le rapport au temps et l’effet de ce temps à la fois sur les œuvres que l’on contemple dans ces films et sur les visiteurs invités à en prendre conscience.
« Métamorphose » : le dénouement de l’exposition
Le point final de la visite conjugue photographies et sculptures. Au cœur du travail d’Aurélien Froment, on retrouve l’image. En guise de conclusion, le Palais Idéal, œuvre énigmatique construite par le Facteur Cheval dès 1879, est singulièrement mis en abîme par l’artiste. Des fragments d’architecture et des figures du Palais sont isolés, photographiés et contextualisés pour semble-t-il en apprécier la justesse et la beauté singulière et métamorphosée. Au centre, sont installées les sculptures totémiques de Raphaël Zarka : « Les prismatiques » inspirés des clés de châssis positionnées au dos des toiles, agrandis, comme démultipliés et transformés.
Au bout du compte, les deux artistes proposent un travail convergent : par des recoupements, des coopérations, des inspirations et intentions communes : une exposition fraternelle s’il en est.
Marjorie Lafon
Aurélien Froment et Raphaël Zarka
Du 23 septembre 2016 au 8 janvier 2017