Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Starbucks ouvrira sa première enseigne à Toulouse le 18 mai, allée Franklin-Roosevelt en lieu et place de Chez Jean – « épicerie » au sens très large du terme puisque l’on pouvait aussi y acheter la presse, notamment le dimanche. La nouvelle a sans doute ravi – et ravira – de nombreux toulousains frustrés jusque-là par l’absence des produits que la multinationale proposait dans d’autres villes de l’hexagone et de la planète, jusqu’en Arabie saoudite. Le géant du café sera quasiment situé en face d’un McDonald’s, ce qui permettra aux gourmets de satisfaire leurs envies sans avoir à trop se déplacer. Je ne suis jamais allé dans un Starbucks et je n’irai jamais. C’est la modeste – voire insignifiante – résistance que j’oppose à ces firmes qui colonisent gentiment et qui uniformisent en douceur. Je ne suis donc jamais entré dans ce genre de boutiques, mais j’ai l’impression d’y être déjà allé grâce à Philippe Lançon.
En effet, je n’ai pas oublié un article qu’il avait signé en 2004 dans Libération à l’occasion de l’ouverture du premier Starbucks à Paris, avenue de l’Opéra. Un détail notamment m’avait frappé. Chez Starbucks, on demandait son prénom au client (la pratique existait déjà sans doute ailleurs ou a dû se répandre depuis) lors de la commande et on l’appelait ensuite, comme un vieil ami ou un copain, lorsque celle-ci était prête. Cela m’avait paru ridicule et légèrement inquiétant. D’autant que le reste de l’article soulignait le confort ouaté, l’ambiance lounge, la fausse convivialité, l’authenticité en toc donnant au lecteur le sentiment de s’immerger dans une sorte de cauchemar climatisé, de « meilleur des mondes » dirais-je pour paraphraser le titre du roman prophétique d’Aldous Huxley.
Les villes modernes sont gagnées depuis des années ou des décennies, selon leur degré d’intégration dans l’économie globalisée, par ces marques dont le nom nous semble presque paré du prestige et de la renommée de pays : Apple, McDonald’s, Nike, Disney… Manger la même chose, porter les mêmes vêtements, boire les mêmes boissons, voir les mêmes films… On appelle cela la « liberté », enfin la liberté de vendre et d’acheter. Consumo, ergo sum. Apple avait même osé en 1997 brandir le slogan « Think different » (déjà utilisé quelques années plus tôt par Pepsi) pour sa campagne de pub planétaire. Tous différents à penser (ou à consommer) la même chose : cela ne manquait pas de piquant. Dans le même registre de l’humour involontaire ou du cynisme, chacun choisira, j’aime aussi beaucoup le « Venez comme vous êtes » de McDonald’s. Si l’invitation était prise au pied de la lettre, elle pourrait donner lieu à des situations cocasses – comme celle qui vit, voici quelques jours, des participants de « Nuit Debout » investir le fast-food de la place du Capitole avant d’en être délogés par des CRS.
Le 18 mai, quand Starbucks servira ses premiers clients toulousains, qui se verront offrir un mug à la gloire de la marque pour les 300 plus rapides, j’irai prendre comme presque tous les matins un « petit noir » dans un café, dans un « vrai » café, l’un de ceux qui disparaissent du centre ville pour laisser place aux enseignes mondialisées dont Nespresso, aux chaînes de cosmétiques et de parfums, aux vendeurs de téléphones portatifs et d’autres facilités numériques. Je m’assoirai, prendrai même le temps de lire un ou deux journaux que j’aurai achetés, sans me presser à l’inverse de ces gens que l’on voit désormais boire leur gobelet de café en marchant dans les rues. Depuis quand les Toulousains boivent leur café dans la rue en marchant ? C’est comme la mode des tatouages, le retour des Stan Smith aux pieds ou de la barbe sur les visages, l’apparition des cigarettes électroniques ou des abayas… On sait que ce n’était il n’y pas si longtemps, mais on ne pourrait donner une année précise. On se souviendra en revanche que le premier Starbucks à Toulouse, c’était en 2016.