Au Théâtre du Pavé, Alain Daffos dirige une Muriel Benazeraf habitée dans « Zoom », monologue enragé et tendre de Gilles Granouillet.
Séquence 1 : Salle de classe, intérieur soir. Décor : Tableau blanc, bureau. Personnage : Mère de Burt. D’une démarche pesante, elle fend la salle, un grand sac de supermarché à la main et s’adresse à un auditoire de parents d’élèves. Gros plan sur l’histoire d’une vie cabossée faite d’humiliations, de solitude et de désamour. « Zoom », de Gilles Granouillet, se présente comme le récit d’une mère venue assister au conseil de classe de l’établissement de son fils et qui, dans l’attente de l’arrivée de la prof de biologie, prend la parole et raconte son parcours. Flash-back. Ce parcours mal engagé commence dans une salle de cinéma où un chauffeur-livreur nommé Bernard qui n’en voulait qu’à ses 17 ans l’avait attirée.
De cette projection du film « Tant qu’il y aura des hommes », naîtra neuf mois plus tard un garçon qu’elle prénommera Burt – comme le Lancaster du film de Fred Zinnemann. S’agrippant à ce signe du destin et n’écoutant que son bon sens, elle se met en quête de réussir la vie de son enfant catalogué «difficile» par les services sociaux. Une vie qui n’a jamais été facile parce que, dit-elle, «dès le début son film était raté». Celle qui n’a pas réussi la sienne, rêve pour son Burt… de gloire et d’Hollywood ! L’obsession de la réussite chevillée au corps, elle traîne ce fils cristallisant ses espoirs de revanche sur une vie de galères sur les routes de France, de castings parisiens en festivals de courts métrages, d’agents de cinéma en maisons de production.
Entre récit fictionnel et peinture sociale, « Zoom » est le portrait sans jugement d’une fille-mère mal aimée et née de père inconnu, engagée dans une lutte acharnée pour accéder à sa part de rêve et de paillettes, au mépris des schémas familiaux et des déterminismes sociaux. Vif, rythmé, dans une langue colorée, foisonnante et truculente, le texte slalome entre morsures d’émotion et envolées cocasses à la démesure assumée. Abordant par le biais de la fiction les problèmes sociaux, éducatifs et politiques de notre société qui s’emploie à enfermer les êtres dans les cases, il ne tombe jamais dans le misérabilisme ou la caricature, grâce à un humour clownesque et une interprétation nuancée.
La toujours vibrante et intense Muriel Benazeraf incarne cette mère aveuglée par l’amour, ignorante des codes sociaux, pleine de colère, qui «rit à côté et trop fort» avec dans le regard la folie de ces gens qui en ont trop vu et ont toujours dû se battre. Habitée, énergique, la comédienne porte les mots de cette femme borderline, démunie, avec pour unique bagage sa détermination indomptable qui lui fera commettre l’irréparable. S’adressant à nous et nous fouillant du regard, Muriel Benazeraf va nous chercher en plein cœur et ne nous lâche plus dans cette mise à nu où le grotesque le dispute à la naïveté touchante, la détresse à l’excessivité. Sans cesse sur le fil du rasoir, entre fous rires hystériques et sanglots, les mots pleins la bouche, elle donne à la pièce son souffle de vie, sa bouffée d’humanité.
Avec sa compagnie La Part manquante, le metteur en scène Alain Daffos a toujours défendu un théâtre poétique et engagé. Ses lectures-spectacles comme « Un bon Français », qui restituait les lettres de délation pendant l’Occupation, ou tout récemment « les Amis européens », correspondance humaniste entre Stefan Zweig et Romain Rolland, sont comme des sentinelles inquiètes, gardiennes des dérives de nos sociétés contemporaines. Il nous offre encore aujourd’hui un moment de théâtre en résistance, à la fois intime et politique.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Du mardi 2 au samedi 6 février, 20h30, au Théâtre du Pavé,
34, rue Maran, Toulouse, Tél. : 05 62 26 43 66.
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photo © Alain Pitton
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