Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
Sans motif apparent de Bob Rafelson
Au début des années soixante-dix en Amérique, une nouvelle génération de cinéastes prend le pouvoir. Le journaliste Peter Biskind appellera cela « le nouvel Hollywood » et le livre au titre éponyme qu’il a publié voici quelques années est indispensable pour comprendre ce qui s’est alors passé dans les coulisses et sur les écrans. Cette liberté créatrice – autant dans les formes que dans les sujets abordés – se terminera à la fin de la décennie avec une reprise en main des grands studios et une mise au pas des artistes sur l’autel de la rentabilité et la tyrannie des effets spéciaux imposée par les succès de George Lucas et Steven Spielberg. Ironie de l’histoire : ces deux-là avaient fait leurs premiers pas dans la mouvance de ce nouvel Hollywood aux côtés de leurs amis Francis Ford Coppola, Martin Scorsese ou Brian de Palma. Ceux-là ont survécu artistiquement et commercialement avec plus (Scorsese) ou moins (Coppola) de bonheur, mais d’autres petits prodiges de l’époque comme Peter Bodganovich (La Dernière séance), William Friedkin (French Connection, L’Exorciste) ou Bob Rafelson tombèrent dans l’anonymat en devenant de simples employés de la grande machine hollywoodienne. Qui se souvient que c’est ce dernier qui lança réellement la carrière de Jack Nicholson en le faisant tourner dans sa première réalisation (Head en 1968, juste avant que l’acteur ne décroche un petit rôle dans Easy Rider) et surtout en lui confiant le rôle principal de Cinq pièces faciles en 1970 (pour lequel Nicholson obtient un Golden Globe et une nomination aux Oscars) et The King of Marvin Gardens en 1972 ? Nicholson signait là deux superbes compositions, pleines de finesse et de mélancolie, loin des numéros de cabotinage qui gâcheront souvent sa filmographie. Rafelson le retrouvera dans Le Facteur sonne toujours deux fois en 1981 (resté célèbre pour la scène d’amour sur une table avec Jessica Lange), puis dans Man Trouble en 1996 et Blood & Wine en 1997 qui passeront inaperçus.
L’univers et l’inspiration de Rafelson ne sont plus au rendez-vous, mais même dans des films de commande (le thriller La Veuve noire en 1986, le film d’aventures Aux Sources du Nil en 1990), la patte du cinéaste est intacte. En témoigne encore Sans motif apparent, son dernier film en date, réalisé en 2002 (!) et qui ne connut pas de sortie en salles chez nous malgré un casting réunissant Samuel L. Jackson et Milla Jovovich. Un flic profite de quelques jours de congé pour enquêter sur la possible fugue de la fille d’une amie et voisine. En aidant une vieille dame du quartier à porter ses courses sous une pluie diluvienne, il ne se doute pas qu’il va se jeter dans la gueule du loup. Car le paisible couple de retraités est aussi le complice d’un gang sans foi ni loi. Adapté d’une nouvelle de Dashiell Hammet, Sans motif apparent comporte toutes les figures du film noir : truand machiavélique, petite frappe psychotique, femme fatale, prise d’otage, chantage, manipulations… Alternant huis clos et casse, le film déploie un suspense et une tension qui ne se démentent jamais. La mise en scène au cordeau de Bob Rafelson est au service d’interprètes épatants comme Samuel L. Jackson ou Stellan Skarsgard. Surtout, Sans Motif apparent révéla le talent d’actrice de l’ex-mannequin serbo-ukrainien Milla Jovovich qui montrait qu’elle peut jouer autre chose qu’une Jeanne d’Arc épileptique ou une tueuse de vampires pour être époustouflante de bout en bout.