« Les Huit Salopards », un film de Quentin Tarantino
La Guerre de Sécession a cessé. C’est sûr ? Dans de somptueux paysages enneigés, Quentin Tarantino plonge au cœur des affres qui tourmentent encore l’Amérique lors d’un hallucinant huis clos.
Assumant ses références et sa passion pour les séries « western » des sixties, le réalisateur n’a pas peur, heureusement, d’ouvrir son huitième film sur une diligence tirée par six chevaux au milieu d’une nature hivernale d’une beauté à couper le souffle. Et pourtant, du souffle il va nous en falloir car ce n’est que le début d’une aventure entre quatre murs qui va voir s’affronter huit exemplaires d’humanité, si l’on peut dire, huit exemplaires de ces « modèles » sur lesquels les Etats Unis se sont construits. Dans cette diligence, un chasseur de prime et sa proie, une femme, qu’il ramène pour toucher son dû et la faire pendre. Sur la route enneigée et alors que le blizzard se lève, ils vont être rejoint par deux autres figures tout aussi pittoresques. Le temps s’envenimant, ils font halte dans une épicerie/restaurant/hôtel, chez Minnie. Involontairement ou pas, il y a dans ce patronyme une référence incontestable au saloon qui tient lieu de décor à l’un des opéras de Puccini : La Fanciulla del West. Si c’est un hasard, il est monstrueux ! Bref. A l’intérieur de l’épicerie en question, ils vont rencontrer quatre autres personnages, eux aussi à l’abri de la tempête. La porte refermée à grand renfort de planches et de clous, comme un cercueil, le drame peut se nouer. Et la tragédie courir à son acmé. Qui sont ces hommes ? L’un serait un ancien général sudiste, l’autre un capitaine nordiste, noir bien sûr, il y a aussi un bourreau chargé d’appliquer les sentences de la loi, un futur shérif également, en somme un condensé d’humanité de ces temps reculés. La misanthropie ambiante et les relents racistes qui fusent à la première occasion semblent indiquer que l’ouragan ne va pas se cantonner à l’extérieur…
Vers le milieu du film, Quentin Tarantino se paie le luxe d’une mi-temps pédagogique afin de nous expliquer que nous allons maintenant voir un autre film avec les vrais personnages et non les manipulateurs que nous écoutons béatement depuis deux heures. C’est le début d’un dézingage hallucinant. Un peu à la manière d’un cluedo, les indices nous révélant la vérité vont nous sauter à la figure. Il vaut mieux alors ne pas être trop sensible… Fidèle à sa marque de fabrique, le réalisateur ne recule devant rien. Hectolitres d’hémoglobine, têtes explosées, tout y passe avec une maîtrise absolue. L’Apocalypse va s’abatte entre les quatre murs de cette auberge rouge. Conformément aux Ecritures, il n’y aura pas de survivants. Virtuose dans le cadrage, la lumière, la direction de ses comédiens, les costumes, Quentin Tarantino signe encore ici un de ses films politiques. Peut-être, et même sûrement, on peut regretter les bavardages de la première partie ainsi que sa longueur, même si l’on admire en permanence le génie cinématographique du bonhomme. Mais le résultat final est là. Une pierre de plus au monumental édifice que ce réalisateur élève à la gloire du 7ème art.
Robert Pénavayre
Quentin Tarantino – L’homme sans limites
Cet Américain de 52 ans débute dans la vidéo, puis vend son premier scénario avec l’argent duquel il tourne son premier film : Reservoir Dogs. Coup d’essai, coup de maître ! C’est le début d’une fulgurante carrière saluée par les prix les plus prestigieux et, surtout, le statut de star du cinéma indépendant américain. Il signe par la suite plusieurs films « culte », dont les moindres ne sont pas : Pulp Fiction, Kill Bill, Inglourious Basterds, Django Unchained et aujourd’hui Les Huit Salopards. Entre cinéphilie et militantisme politique, l’œuvre de ce cinéaste est d’ores et déjà inscrite dans le marbre.