Projeté et grand gagnant de l’édition 2014 du Festival Cinespaña, Artico est sur les écrans français ce mois-ci.
Le synopsis : Simon et Jota, deux jeunes voyous de vingt ans survivent, jour après jour, dans la rue. Au-delà des vols et des magouilles quotidiennes, ils étouffent dans leur vie étriquée. Chacun d’eux désire ce qu’il n’a pas. Adolescents et déjà parents, ou sur le point de le devenir, ils cherchent à donner un sens à leur vie. Un face à face intime avec une jeunesse désœuvrée dans l’Espagne d’aujourd’hui.
Les années quatre-vingt espagnoles montraient la délinquance juvénile comme un problème social à travers le cinéma « quinqui ». Gabriel Velázquez rend hommage à ce genre, à travers cette peinture naturaliste extrême, sombre, froide, à la limite de l’empathie pour les personnages, magnifiée par la photo de David Azcano.
La toute première idée que vous avez eue sur ce film au moment de son écriture ?
J’ai eu l’idée d’Artico lors du festival de Rotterdam où mon précédant film Icerberg était présenté. C’est un festival prestigieux, qui propose des films risqués, avec des budgets très réduits. Alors que je n’avais aucune idée particulière jusqu’alors, j’ai su pendant ce festival que j’allais faire la seconde partie d’Iceberg. Les enfants d’Iceberg avaient entre 10 et 14 ans, et sont devenus majeurs dans Artico où on suit leurs trajectoires. Ce sont les mêmes acteurs, qui sont des enfants de la rue.
Comment s’écrit un scénario à quatre mains ?
Nous n’avons jamais ensemble tous les quatre. J’ai été avec chacun des co-scénaristes et j’ai pris des idées de chacun. Le scénario n’était pas du tout fermé, il pouvait changer en fonction des essais, de la réalisation. Par exemple, je demandais aux acteurs « qu’est-ce que tu ferais toi dans ce cas-là ? »
Il y avait donc une part d’improvisation durant les répétitions.
Oui, tout à fait. On n’avait parfois que l’idée d’aller d’un point à un autre, et cette idée pouvait changer selon ce que pouvait apporter le comédien. Pour l’anecdote, Debi et Rota, le couple qui a l’enfant, étaient très amoureux, mais durant les essais, ils se bagarraient. Il était très dominant, et elle voulait chaque fois lui échapper. Je leur ai donc dit qu’ils formaient un couple qui ne s’aimaient pas, et on a gardé ce changement.
C’est la quatrième collaboration avec le chef-opérateur David Azcano. Quelles consignes lui avez-vous données ?
C’est lui qui m’a demandé quelque chose (rires). Le film devait être tourné en deux semaines. Il fallait donc que tout soit très préparé. Après avoir fait les repérages, il m’a fait part de tous les impératifs « cette scène doit se faire dans ce lieu uniquement à cette heure-là » en fonction de la lumière du jour, pour chaque scène. Le tournage devait donc être respecté.
Je me demandais si c’était pour des raisons financières que le tournage n’avait duré que deux semaines, -au lieu des huit traditionnellement-, ou si c’était parce qu’une séquence chez vous correspond à un plan que le tournage avait été court.
Iceberg avait été tourné en trois semaines, et je pensais qu’on était capable de le faire en deux. C’était un peu un pari, mais il y avait quand même le financement qui ne permettait pas de payer les salaires, les locations, si le tournage durait davantage.
Mon assistant est aussi photographe. Quand nous arrivions dans un lieu lors des repérages, il me disait « ça, c’est un bon plan » et après, le chef-opérateur le rendait beau. J’ai comme ça que j’ai décidé que chaque plan allait être une séquence.
Vous filmez vos acteurs de loin. Était-ce nouveau pour vous ?
Oui, et j’ai dû convaincre l’équipe. Je voulais que chaque plan avec les acteurs ressemble à un tableau, très composé avec un banc d’un côté, la cathédrale de l’autre par exemple. Et je voulais en plus une distance par rapport aux acteurs, que ce soit un film un peu froid.
Pourquoi vouliez-vous faire un film froid ?
D’une part, Salamanque est une ville froide, qu’il y fait froid, et où il neige. J’y suis né. D’autre part, l’histoire du film est triste et je voulais prendre de la distance par rapport au sujet, cela faisait de beaux tableaux pour les plans-séquences.
Comment l’ingénieur son a-t-il travaillé ?
Il a dû parfois utiliser des micro-cravates sur les acteurs. Les sons d’ambiance ont été pris à la perche.
Un mot sur le choix de la musique.
Depuis assez longtemps, je fais des recherches sur la musique traditionnelle de Salamanque, ce qui m’a amené à découvrir Eusebio Mayalde qui est l’un des deux compositeurs de la musique. Je ferai un film sur lui. Il va dans toute la province de Salamanque pour essayer de retrouver des musiques anciennes traditionnelles, pas uniquement le côté folklorique, mais retrouver l’esprit de toutes ses musiques.
La part du film qui se décide au montage ?
Tout avait été décidé pour ce film à l’avance, contrairement aux autres films où tu peux réécrire le film au montage. Le montage a été très facile à faire. On avait envisagé une autre fin qui était plus heureuse en fait où la jeune actrice appelle sa mère au Brésil et lui dit qu’elle l’aime beaucoup. Et la famille faisait une fête avec l’enfant, comme si elle l’adoptait. Mais visuellement, cela ne rendait pas aussi bien que ce que j’avais espéré. La fin qu’on a gardée est plus cohérente avec le film.
D’où viennent les phrases écrites quand les personnages sont face caméra ?
J’aurais dû le dire à la question précédente car elles viennent du montage. Elles expliquaient un peu d’où venait chaque personnage, puisqu’il y avait des moments où le spectateur pouvait ne pas tout comprendre. On a vraiment hésité à lesenlever aussi.
La première idée était donc un regard face caméra, très rapproché. Elles sont très dures ces phrases.
En fait, la vie des jeunes acteurs ressemble beaucoup au film…
La dernière scène du film, durant le générique, montre des enfants dans une cour.
Les enfants sont comme les pigeons du film. C’était pour donner un peu d’espoir à la fin de ce film.
Discúlpame par avance, mais je ne suis pas assez familières des habitudes espagnoles. Du coup, je ne savais s’il s’agitait d’une cour d’école avec des enfants en uniforme, ou une cour d’orphelinat, ce qui était une fin moins joyeuse que la vôtre…
Ah ah (rires espagnols). Cette image me vient de très loin en vérité. Quand j’avais quatre ans, je regardais par la fenêtre et je voyais la cour de récréation, avec les enfants habillés ainsi. J’ai voulu montrer dans le film que le manque d’amour fait prendre le mauvais chemin. Un des personnages veut avoir un enfant pour avoir une famille alors que l’autre a eu une famille et a besoin de liberté. Comme le personnage féminin du film, beaucoup de jeunes filles tombent enceintes à seize ans. A l’exception du personnage qui a de la famille, ils sont tous seuls.
Lors de la projection à Cinespaña 2014, certains ont interprété la fin du film comme un message en faveur de la loi anti-avortement. dont il était question à l’époque.
Et vous, quel est votre avis ?
Que si le film a une position par rapport à l’avortement, il est selon moi pour à cause d’une des phrases écrite « ma grossesse m’a gâché la vie ».
Je suis plutôt partisan de l’avortement pour que cela en effet ne se fasse pas.
L’accueil du film à l’étranger ?
Cette famille particulière avec les pigeons ne représente bien évidemment pas toute l’Espagne. Mais la force visuelle du film et l’impact de la musique ont été soulignée à Berlin, où il a gagné un prix pour ces raisons-là, ainsi que le folklore. A Toulouse, Artico a eu la Violette d’Or, le prix de la meilleure musique, le prix de la meilleure photo, et le prix des jeunes. C’était un peu magique pour moi. Il a beaucoup plu aussi aux jeunes de la Sorbonne.
Après Iceberg et Artico, je propose Banquise comme titre de votre prochain film ?
Non (rires). Ce sera Analisis de sangre azul. En 1930, un aristocrate arrive dans un village des Pyrénées et arrive dans un asile de fous et révolutionne toute la vallée. C’est un film entièrement muet, musique en mono, en noir et blanc, en super 8.
Ça sent la comédie !
Ah ah (rires espagnols). Toute l’équipe du tournage joue dans le film.
Merci à Patrick Bernabé de Cinespaña d’avoir traduit les questions et les réponses, et d’avoir ri à mes blagues douteuses.