« Perdre connaissance », une création de Didier Roux, codirecteur du Théâtre Le Hangar aujourd’hui fragilisé par la baisse de la subvention municipale.
Si étymologiquement «théâtre» signifie «lieu d’où l’on voit», l’équipe du Théâtre Le Hangar, elle, n’a plus de visibilité sur son avenir. Nichée du côté du faubourg Bonnefoy, cette salle fait partie de ce que l’on nomme à Toulouse les «petits théâtres». À l’abri des rumeurs du centre ville, Le Hangar va depuis quinze ans son petit bonhomme de chemin : celui d’un lieu de résidence, de fabrication, de formation et d’expériences théâtrales. Les spectateurs qui le fréquentent savent que ce théâtre de proximité, n’en est pas moins, malgré sa capacité d’accueil de 49 places, un lieu d’excellence et d’exigence artistique axé sur la recherche contemporaine – à l’image de son rendez-vous Les Bruissonnantes, festival international de poésie contemporaine et performative, très attendu chaque printemps qui attire les amateurs de formes scéniques innovantes.
Ici, Laurence Riout et Didier Roux, les codirecteurs organisent une programmation éclectique mais sélective, accueillent dans leurs célèbres murs noirs, une dizaine de compagnies régionales, mettent à leur disposition leur plateau de 90 m2 pour des résidences de création, dispensent avec une équipe de six intervenants de disciplines diverses, des formations pour professionnels et des ateliers pour comédiens amateurs. Dans ce contexte, l’amputation de 10 % de la subvention annuelle accordée par la Ville de Toulouse qui touche le secteur culturel vient balayer cette vitalité qui s’est construite au cours des années. Elle précarise ainsi un théâtre qui n’a pas les épaules d’un TNT au d’un Théâtre Garonne.
«Cette coupe de 3200 € est non seulement un désaveu du travail que nous menons au Hangar, mais ses répercussions artistique, économique et humaine sont considérables. Elle vient directement impacter les compagnies que nous accueillons et rémunérons. Nous avons été contraints de réduire notre programmation pour pouvoir survivre», déplore Didier Roux. Un désaveu qui se double de la surdité des pouvoirs publics, plongeant l’équipe dans le désarroi et l’incompréhension : «Nous avons remis à la mairie un bilan d’activité très positif qui n’a pas à rougir des autres théâtres toulousains. Nous ne comprenons pas le silence de la municipalité», poursuit Didier Roux. L’équipe est actuellement suspendue à la décision du Conseil régional dont l’aide à la formation professionnelle permettrait de continuer la route… «Sans cette aide, cette saison sera la dernière du Hangar», conclut le metteur en scène et codirecteur du théâtre.
C’est dans ce climat incertain que Didier Roux propose sa dernière création en partenariat avec la manifestation «Des Théâtres près de chez vous». Depuis plusieurs années, le metteur en scène et pédagogue travaille sur l’écriture scénique avec des acteurs envisagés comme écrivains. De cette recherche, sont nés cinq objets pour le théâtre, la rue ou autre lieux atypiques. Le premier, « Perdre connaissance », est conçu pour un chœur de treize comédiens qui en forment la partition scénique et textuelle. Principalement des actrices, auxquelles il a demandé de travailler avec l’espace, le rythme et leur présence, dans une mise en jeu du corps «global».
Il en ressort une peinture d’humains chorégraphique et poétique, avec des surgissements d’histoires arrachées en direct à l’intériorité et à l’imaginaire de chacun-e. « Perdre connaissance » échappe à la trame narrative, au message, à la psychologie. « Perdre connaissance » échappe à ce que l’on peut «connaître» du théâtre. Au public de se laisser traverser et d’accepter l’invitation de ce partage intime. Ainsi que Paul Claudel l’écrivait dans «Partage de midi» au sujet du transport amoureux : «Il ne faut pas comprendre, mon bon monsieur, il faut perdre connaissance».
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Du 6 au 21 novembre, du mercredi au samedi, 21h00, au Théâtre Le Hangar,
11, rue des Cheminots, Toulouse. Tél. : 05 61 48 38 29.