C’est l’histoire d’un Palestinien qui prend l’avion. Tout d’un coup, il voit le signe des toilettes allumé sur « occupé ». Il se met à hurler : « De la rivière à la Mer, les toilettes seront libérées! »
Cette blague du comique palestinien Adi Khalefa, rapportée par le Washington Post il y a quelques temps, n’est que l’une des nombreuses manifestations d’humour d’un peuple souvent au désespoir mais qui ne manque pas une occasion de libérer un peu la soupape.
Comme les autres, les Palestiniens sont de toute nature ; ils ont des gens merveilleux et leur lot d’abrutis. Leur malheur est cependant grand et leurs rêves entourés de hauts murs.
Leur patrie est un paysage mental ; leurs chefs ne sont pas toujours de bons architectes.
Un jour, peut-être, ils cesseront de nous faire pitié ou de paraître effrayants ; ils seront beaux car libres, même de ceux, en Europe, qui embrassent leur cause en la pervertissant.
« Pour le Palestinien, la terre ne relève pas uniquement du politique, mais aussi du sacré », déclare Mahmoud darwich dans La Palestine comme métaphore. Le poète des Troyens, le chantre des perdants à la « conscience tragique », disait aussi à peu près que le regard, au travers des prismes du passé et de l’avenir, est une force. « Ainsi, le présent apparaît moins fragile, tel un passage vers une histoire plus sûre. »
Le cinéma, parfois, a également ce pouvoir, s’il porte en lui des germes d’espérance ou quelques bonnes railleries envers les puissants du jour et les Ubus de tout bord, gesticulant, commandant et vitupérant, qui seraient grotesques s’ils n’étaient si dangereux, comme des pastèques fourrées à l’uranium et aux clous.
Michel Khleifi est un cinéaste né à Nazareth et citoyen de Bruxelles depuis 45 ans. Il est aussi enseignant. On nous dit que certains de ses films et docs sont encore de nos jours une source d’inspiration pour les artistes palestiniens. Noces en Galilée, sorti en 1987, raconte le mariage du fils du maire dans un village de Galilée. Le Mukhtar rêve d’une belle fête mais le couvre-feu des autorités israéliennes pourrait tout gâcher.
Khleifi est aussi l’auteur de La mémoire fertile, du Conte des trois diamants et, en 2009, de Zindeeq, sur le lourd héritage du partage de 1947 et ses suites, dans une société palestinienne en grande mutation. Apparemment, ce film a eu des difficultés à circuler en Europe. Les guerres entre pro et anti-Palestiniens empoisonnent toujours les débats, voire la vie de tous les jours, mais le film était peut-être raté. Le cinéaste, attentif par ailleurs au statut des femmes, pointait « la dislocation de la société arabe, le poids du passé, la difficulté de se réinventer. »
Les débuts dans la vie de Michel Khleifi sont d’ailleurs intéressants :
« J’ai quitté l’école à 14 ans et demi. J’ai travaillé dans un garage pendant les cinq années suivantes (à Nazareth et Haifa). Mon amour pour le théâtre m’a conduit à une étrange passion pour mon âge : lire des pièces. Peut-être cela m’a-t-il donné plus de liberté pour libérer mon imagination. Où que j’aille, j’avais toujours un bouquin avec moi. À cette époque-là, on n’avait pas conscience que le savoir était un capital salutaire que nous portions dans nos têtes. J’ai alors compris que nous devions développer les divers éléments de notre culture et de nos connaissances, et combien il est important de construire un projet national/culturel/politique de portée internationale. »*
La compagnie Ici, Là-Bas et Ailleurs du poète syrien de Toulouse Samir Arabi, qui organise le festival Ciné-Palestine dans une volonté d’échanges et sur une base purement culturelle, a monté une rétrospective des films du réalisateur ; il est l’invité d’honneur de cette deuxième édition.
D’autres longs-métrages et documentaires programmés cette année ont des titres parfumés : Les Chebabs de Yarmouk, La belle promise ou encore Les 18 fugitives.
« Se faire les ongles en pleine guerre, c’est déjà résister »
Dans Dégradé, les jumeaux Nasser, prénommés Tarzan et Arab et qui ont l’air de deux chanteurs de psyché-rock ou de prophètes du désert, filment un moment de la vie d’un salon de beauté dans la bande de Gaza et campent une variété amusante de clientes. L’une d’elle est préoccupée par les « performances au pieu » de son homme, l’autre a des problèmes respiratoires ; il est question de divers produits, de Crime et Châtiment, des checkpoints, du Fatah, d’Israël, . Des coups de feu et c’est l’affolement. Une famille mafieuse a volé le lion du zoo miteux de Gaza (il n’a pas de crinière – c’est une lionne ou un lionceau ou tous les poils sont tombés à cause de la malnutrition?!) et les islamistes du Hamas veulent leur peau !
Présenté à Cannes, le film a reçu un très bon accueil.
Greg Lamazères
Ciné-Palestine du 12 au 26 novembre à Toulouse et dans la région
* Un entretien avec Michel Khleifi (en anglais)