Richard STRAUSS : Le Bourgeois gentilhomme, op. 60, suite pour orchestre
Manuel de FALLA : Le Retable de Maître Pierre
Gustavo Peña (ténor)
Raquel Lojendio (soprano)
Joan Martín-Royo (baryton)
Le Bourgeois gentilhomme , suite d’orchestre op.60 : Une gestation plutôt délicate
L’Europe est alors nationaliste et va bientôt s’enfoncer dans la guerre. Richard Strauss et le poète Hugo von Hofmannstahl, eux, sont de ceux qui prisent les vertus du théâtre et de la musique, mais à l’horizon européen déjà. Leurs premières œuvres en commun, Elektra la berlino-grecque et le Chevalier à la rose, viennoise jusqu’à la quintessence, sont encore trop nationales. Strauss aime Molière et la Grèce antique, Hofmannstahl aussi. Et tous deux veulent remercier un certain Max Reinhardt d’avoir sauvé la première du Chevalier prête alors au naufrage. Pour son Théâtre, ils vont écrire une œuvre d’un genre nouveau, un mélange, non pas gleichzeitig (ensemble) mais successif. On jouera d’abord Le Bourgeois gentilhomme, agrémenté de pastiches à la Lully, puis comme spectacle offert par M. Jourdain, on jouera ensuite Ariadne auf Naxos, un drame grec accommodé de Commedia dell’arte, un mélange encore, gleichzeitig cette fois !
Créé non sans difficultés à Stuttgart en 1912, cet hybride n’eut en rien le triomphe de ses ‘‘sœurs aînées’’. Ce fut un somptueux échec. Le jeu était vraiment trop subtil pour le public : difficile de faire venir l’amateur de musique au théâtre, et celui du théâtre à l’opéra, chacun trouvant trop long la partie qu’il ne goûte pas. En soi, l’idée était à la fois folle et séduisante, et le temps des mécènes encore là pour pouvoir la réaliser. Mais Richard Strauss, non dénué de pragmatisme, convainquit bien vite son librettiste qu’il valait mieux se tourner vers l’opéra, seul. Vienne verrait ainsi la seconde version de l’œuvre dès 1916, celle que l’on joue désormais. Un Prologue remplaçait Molière pour expliquer le mélange à venir. L’opéra, à peine révisé, trouvait un équilibre nouveau. Et un chef d’œuvre était né, hommage à la Grèce et à l’Italie, à Mozart autant qu’à Molière. L’Union Européenne est bien là, au niveau des Arts.
La partition définitive en tant que musique de scène fut écrite en 1917 et exécutée à Berlin l’année suivante. 1919 enfin, le musicien en tire la suite d’orchestre proprement dite. Il la dirige pour sa première audition à Vienne en 1920.
L’œuvre ainsi destinée au concert comporte neuf parties, trois sont directement adaptées de Lully, les autres s’en tenant à ressusciter son « style » et celui de la musique française de cour sous Louis XIV. A travers les emprunts et les citations, l’esprit du pastiche domine avec un parti pris évident d’anachronisme. Comme l’emploi du piano à la place du clavecin. Pour l’orchestre, le compositeur ne fait appel qu’à un effectif réduit. Pour cela il fait valoir une écriture parfaitement claire et tous les imprévus de l’harmonisation. Partition d’un maniérisme accusé volontairement, mais plein de saveur, dans laquelle Strauss prend prétexte de tout – enchaînements d’accords, altérations harmoniques, alliages de timbres… , tout cela pour amuser ou déconcerter tour à tour l’auditeur.
Effectif orchestral : deux grandes flûtes (également petites flûtes) ; hautbois, clarinettes, et bassons par deux ; deux cors, une trompette, un trombone ; une timbale et une petite batterie à savoir, cymbales, grosse caisse et caisse claire, tambour de basque, triangle ; glockenspiel, harpe et piano ; les cordes avec seulement six violons, quatre altos, quatre violoncelles, deux contrebasses.
Durée d’exécution : 35 minutes environ
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1. Ouverture de l’acte I (‘Jourdain, le bourgeois’) : c’est un Allegro virevoltant
2. Menuet (Moderato assai)
Des doubles croches capricieuses veulent dénoncer toutes les maladresses de M. Jourdain.
3. Le maître d’armes (Animato assai puis vivo)
Entrée du maître sur d’impétueuses vocalises de trombone, de trompette, puis du piano « con bravura »
4. Entrée et dans des tailleurs (Vivace)
Grande ‘‘entrée de ballet’’ à multiples épisodes
5. Menuet de Lully (‘avec grande aisance’)
C’est la première des trois pièces ‘démarquées’ du musicien français.
6. Courante (‘assez animée’). C’est la danse préférée de Louis XIV ici traitée en canon. Large épisode conclusif d’un lyrisme tout à fait ‘straussien’ soutenu par le piano concertant
7. Entrée de Cléonte (‘Solennelle’). Cette pièce utilise une sarabande de Lully. Elle est au départ d’une lenteur compassée, d’une grâce presque triste ! et se conclue par un appel de trompette.
8. Prélude de l’acte II (‘Intermezzo’, indiquée Andante, galante e grazioso). C’est une page exquise, d’une simple élégance, évoquant le couple douteux Dorante, Dorimène que tous les férus de Lettres classiques connaissent bien !
9. Le dîner (‘Musique de table et danse des marmitons’). En guise de dénouement, c’est le dîner qu’offre M. Jourdain, pièce maîtresse de cette suite développée comme une symphonie. Il s’agit ici encore, d’une “entrée de ballet“ avec sa succession de danses. En prélude, un brillant Alla Marcia puis le défilé des plats s’agrémente d’une musique de table parsemée de citations :
– le ‘saumon du Rhin’ servi avec deux cors wagnériens.
– le ‘gigot’ sur les bêlements de mouton de Don Quichotte
– divers gibiers à plumes sur des trilles aux bois issus du Chevalier à la rose
– incidemment l’air ‘La donna è mobile’ du Rigoletto de Verdi,…
« Et c’est une “omelette surprise“ valsante (presto) puis dans un mouvement endiablé (prestissimo) qui mettra fin à cette pièce étincelante de verve ironique et d’à-propos musical. »
Pour son deuxième rendez-vous cette saison avec l’Orchestre du Capitole, le futur directeur musical du Liceu de Barcelone à partir de la saison 2012/2013, Josep Pons, dirigera une œuvre qu’il connaît bien pour l’avoir interprétée dans un enregistrement très remarqué avec l’Orquesta de Cambra Teatre Lliure de Barcelone en 1991 : Le Retable de Maître Pierre de Manuel de Falla. Pour cette pièce pleine de charme et de vitalité, il sera entouré de trois artistes espagnols invités pour la première fois au Capitole : la soprano Raquel Lojendio, le ténor Gustavo Peña et le baryton Joan Martín-Royo.
Opéra de chambre en un acte dont le livret s’inspire des chapitres XXV et XXVI de la deuxième partie du Don Quichotte de Miguel de Cervantès, El Retablo de Maese Pedro, Les Tréteaux de Maître Pierre ou encore Le Retable de Maître Pierre est composé par Manuel de Falla (1876-1946), à Grenade, entre 1919 et 1922, époque où il se lie d’amitié avec le poète Federico Garcia Lorca.
L’œuvre est due à une commande de la princesse Edmond de Polignac, sa dédicataire, qui désirait représenter dans son salon des opéras pour marionnettes. C’est sous cette forme qu’elle fut créée le 25 juin 1923 sous la direction de Wladimir Golschmann. La création en concert eu lieu à Séville le 23 mars de la même année, sous la direction du compositeur. Cette pièce hautement originale, où passent tour à tour drame, bouffonnerie, réalisme et féerie, suggère l’atmosphère musicale et poétique du XVIe siècle espagnol.
« Le Retable de Maître Pierre nous conduit à travers toutes les provinces et tous les âges de la musique ibérique. Une mélopée galicienne, imitant la gaita des conteurs ambulants, précède le lever de rideau, elle se poursuit par une sinfonia dans le style des musiques de cour du XVIIè siècle, puis par une gaillarde qui salue l’entrée en scène de Charlemagne. Les psalmodies du jeune commentateur empruntent aux conteurs populaires espagnols leur débit précipité sur un nombre restreint de notes voisines, s’interrompent pour citer une tonada médiévale usant de ces déplacements d’accents toniques qui sont l’une des licences les plus expressives de la poésie populaire espagnole.
Le châtiment du Maure qui a volé un baiser à la belle Melisandra se déroule sur un chant que j’ai entendu récemment encore sur les routes des alentours de Grenade, chanté par une paysanne. Et si le ton général du Retable se soumet à la rigueur du paysage et de l’art castillans, dans leur nudité sans apprêt, c’est l’Andalousie berbère et gitane qui surgit encore dans la scène foisonnante de l’appel aux armes où une citation inattendue de la Chanson du Feu follet de L’Amour sorcier sert de contrepoint à l’arabesque lancinante d’une raita . » Maurice Ohana.
Michel Grialou
Photo de Josep Pons : A. Bofill
Halle aux Grains – Vendredi 06 janvier – 20h