Inutile de tourner autour du problème pendant cent sept ans, le dernier roman d’Amanda Filipacchi n’est pas d’une écriture très recherchée ni d’un style souverain et encore moins affirmé. Et pourtant, le sujet ici abordé est loin d’être neutre et on peut encore moins l’accuser d’appartenir à la panoplie des thèmes à la mode. La romancière s’attaque de front au problème de l’apparence, un fait de société qui, en ces temps de peopolisation à outrance par médias interposés, fait des ravages considérables dans notre civilisation.
S’il n’est pas question ici d’entrer dans un débat philosophique sur la question du Beau à travers les âges, la romancière aborde le sujet par le biais d’une poignée d’amis vivant à New York, un brin fantaisistes, ayant constitué un groupuscule extrêmement fermé baptisé pompeusement « Les chevaliers de la création ». En plus de problèmes d’égos surdimensionnés, selon la formule, ils vivent des relations plus que complexes avec les autres, et plus particulièrement, ceux du sexe opposé. A titre d’exemple, Barbara est belle comme un cœur mais s’enlaidit volontairement afin de rencontrer l’homme de sa vie qui la désirera pour sa beauté « intérieure ». A l’inverse Lily, pas vraiment gâtée par la nature, s’évertue à conquérir l’amour de sa vie qui, lui, l’ignore complètement. Sauf que Lily, musicienne de grand talent, a le pouvoir de composer des musiques qui font changer le regard des autres tant que ceux-ci l’entendent.
Après, c’est un peu l’histoire de Cendrillon, si la musique s’arrête… Au beau milieu de tous ces états d’âme, un meurtrier envoie des messages subliminaux qui affolent la petite troupe. Qui est celui qui cache de tels instincts parmi eux ? Bref. Ce qu’il faut retenir avant tout de ce roman, c’est le doigt posé sur ce sujet de l’apparence qui, aujourd’hui, est devenu primordial. C’est un sujet économico-sociétal en cela qu’il induit des diktats inimaginables au travers des revues et des télévisions. En jeu, la mode et le colossal et lucratif business qui en découle. Salles de sport, instituts de beauté, produits en tous genres, régimes de toutes sortes, discours décérébrants, affiches aguichantes, presse spécialisée, la liste ne s’arrête pas là bien sûr mais en dit long sur l’état d’asservissement de nos contemporains et leur manque de recul, voire de réflexion en la matière. S’il y a un mérite à ce roman, qui se lit sans ennui tout de même, c’est d’avoir pris pour thème ce sujet. Un vrai sujet étonnamment abordé par la fille du plus grand éditeur de presse magazine dans le monde !
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse