Basilique Saint-Sernin
Tomás Luis de Victoria
Canticum Navitalis Domini
Chanteurs et musiciens de la Capella de Ministrers et du Chœur de la généralité de Valence, direction Carles Magraner.
Afin de célébrer dignement le 400e anniversaire de la mort du compositeur espagnol Tomas Luis de Victoria, l’ensemble Les Passions, l’Institut Cervantès initiateur de cet hommage, le Festival Éclats de voix, avaient conjugué leurs forces, pour faire résonner sous les voûtes de la Basilique Saint-Sernin ses polyphonies subtiles.
Tomás Luis de Victoria (1528 ?-1611) reste un continent obscur pour nous en France, alors qu’il est le plus célèbre polyphoniste de la Renaissance espagnole. Certes le fait qu’il fut non pas un prêtre catholique mondain, mais un catholique fervent, entièrement tourné vers la musique sacrée, la seule qu’il daigna écrire, et vivant retiré dans son couvent royal des Clarisses déchaussées à Madrid, à part des voyages à Rome, ne contribue pas à le faire connaître au-delà des frontières. Et comme sa musique est sous l’influence très forte de Palestrina, donc sévère, elle est peu en phase avec la rutilance de la musique italienne, directement contemporaine, mais autrement plus énivrante et sensuelle, comme celle de son contemporain Claudio Monteverdi. Et la contre-réforme ne fait pas rêver, même en musique.
Pourtant ce mysticisme espagnol si caractéristique, cette foi rude, torturée et complexe, trouve son aboutissement dans sa musique intense et nettement moins « raide » que celle de son maître Palestrina.
Mais peu à peu, on redécouvre ses 20 messes, ses passions, ses motets, ses cantiques.
Domingo Garcia Canedo, le directeur de l’Institut Cervantès, dans sa présentation, fit un parallèle éclairant entre Miguel Cervantès et Tomás Luis de Victoria, que rapprochent non seulement les dates de parution pour l’un de Don Quichotte de la Mancha en 1605, et pour l’autre à la même date, de ses Canticum Navitalis Domini, mais également l’immense importance qu’ils occupent tout deux dans la culture espagnole. Et l’époque était en plus adéquate, car les 13 œuvres jouées avaient été composées pour le temps de l’Avent et de l’Épiphanie. Et elles étaient faites pour être jouées spatialement par un chœur, des solistes, auquel Carles Magraner a adjoint des instrumentistes (flûtes, cornet, sacqueboutes, bassons) qui étoffent la musique. D’ailleurs on peut citer la très remarquable Núria Sanromá au cornet à bouquin, à la sonorité superbe.
Les 13 membres du chœur de la Generalitat Valenciana ont une magnifique souplesse et intériorité, et portent haut le long des voûtes les belles volutes de Victoria. De cette musique d’où monte une émotion sereine, on pouvait suivre les méandres subtils. Mais la plupart des pièces ont été confiées à six solistes, où les voix masculines l’emportent sur les sopranos, moins remarquables. Ainsi l’alto David Sagastume, la qualité des ténors, et de la basse, ont apporté de la lumière à cette musique un peu sombre, tout entière dévouée à la Vierge Marie.
Des parties solistes, des moments presque madrigalesques, des moments seulement instrumentaux, allègent la texture musicale.
L’alternance entre chœur et solistes, rarement fusionnés sauf dans les alléluias, restitue l’univers fervent de Victoria. La grandeur de l’édifice de la Basilique, n’aura pas permis une grande scénographie spatiale, mais la réception ainsi de face de cette musique, aura sans doute fait découvrir la grandeur de Tomás Luis de Victoria, vénéré en Espagne, à découvrir en France.
Mais il faut se rappeler que cinq ans après la publication du Canticum Navitalis Domini, Monteverdi faisait retentir, en 1610, les soies magiques de ses Vêpres à la Sainte Vierge, et donc portera ombrage à ses contemporains.
Il faut donc se féliciter de ce concert rare et remarquable, qui en plus d’un bel hommage à Victoria, nous aura fait entendre un ensemble de haut niveau, dans une musique exigeante et rare.
Gil Pressnitzer