Vader au TNT
Mise en scène : Franck Chartier
Aide à la mise en scène et dramaturgie : Gabriela Carrizo
Création & interprétation : Leo De Beul, Marie Gyselbrecht / Tamara Gvozdenovic, Hun-Mok Jung, Maria Carolina Vieira, Simon Versnel, Brandon Lagaert & Yi-Chun Liu,
La troupe flamande du Peeping Tom, collectif bruxellois animé par Gabriella Carrizo et Frank Chatrier, revient après le fulgurant et poétique spectacle, 32 rue Vandenbranden, et « A louer » sorte de réflexion sur l’éphémère dans une maison et des âmes à louer, habitées par nos vertiges et nos fragilités, spectacle moins accompli mais toujours aussi prenant, avec sa dernière création, Vader (père), premier volet d’une trilogie familiale qui sera suivie de Mère et Enfants.
Et l’on retrouve cet univers mélange de burlesque et d’angoisse latente, d’éclats de vie et de réflexions sur le temps de la vieillesse, et comme toujours sur l’éphémère qui nous cerne.
Vader est donc aussi un voyage vertigineux dans le monde des maisons de retraite, mais surtout dans la tête d’un père qui se raccroche à ses lambeaux de mémoire, et s’enfuit de la réalité par ses visions, ses réminiscences, pour revivre dans les pas perdus de sa mémoire un autre temps que les pas perdus de la maison de retraite, avec ses rites, ses lois. Pour lutter contre la perte irrémédiable de tout, il reste l’échappée du rêve.
On retrouve les caractéristiques de la troupe qui est autant un collectif de danse contemporaine que de théâtre, avec les contorsions propres à l’art circassien avec ses danseurs-caoutchouc, et la recherche d’un montage cinématographique et ses scènes multiples entre ralenti et accéléré.
L’absurde se mêle au tragique et danseurs acrobates sud-coréens surtout, évoluant entre spasmes et apesanteur, chutes et rebonds vont vaincre la gravité des corps, mais pas celle des situations de fin de vie.
Parfois le rire se fige.
Porté par l’étonnant et facétieux Leo De Beul âgé de 76 ans, qui joue Leo le vieux, et par Simon Versnel, qui joue Simon le fils, puis le vieux qui va mourir, troublante incarnation d’eux-mêmes, Vader épie, comme le veut le nom de Peeping Tom, les recoins de la mémoire d’un vieillard qui brise ainsi les pesants rituels monotones de la maison de retraite.
Le chœur des autres pensionnaires soutient ses fuites en arrière.
La musique toujours aussi présente, parfois réduite à une fréquence grave inquiétante, est ici en play-back, avec des échappées vers la variété américaine (Feelings), Bach, une musique brésilienne….
Le texte en anglais et coréen n’est pas surtitré, mais le texte traduit est distribué aux spectateurs. Cela n’est pas grave, car les dialogues sont, volontairement sans doute, très pauvres.
Le décor n’est que la très grande salle commune de maison de retraite avec ses murs décrépis et son estrade pour « offrir » de la musique aux petits vieux. Cela devient la salle des pas perdus des sentiments et des mémoires.
Cette exploration donne souvent des images scéniques fortes comme les séquences de balayeuses – les balais sont d’ailleurs omniprésents, le sac récalcitrant du début, les épisodes au piano de Leo en vieux crooner, ou concertiste, la soupe, le balai immense, la jeune femme qui se courbe et devient plus vieille que le temps.
Mais il y a aussi des moments plus faibles qui se perdent dans les méandres de l’inconscient.
Les moments monotones de la vie quotidienne sont autant de tableaux chorégraphiques et ses échappées dans les souvenirs pour effacer justement cela.
Le fils n’est que de passage, tous les lundis, le père s’invente des groupies qu’il séduit au piano.
Mélancolique, souvent tendre, parfois cruel Vader n’est pas ce « rêve d’insouciance », cette invitation à la vie, voulant arrêter le temps et le prolonger mais un regard singulier, parfois inquiétant, mais drôle, sur les dernières miettes de la vie.
Scènes de la vie quotidienne d’un mouroir pour vieux ou plongée dans la tête épuisée de Leo qui se détache peu à peu de la société humaine.
Tableau humain de la mystique du père, parfois fou, souvent délirant et espiègle, et qui à lui seul fait basculer tout le monde de la maison de retraite qui perd sa réalité pour devenir onirique.
C’est Leo qui nous fait voir les autres : le fils, le personnel soignant, les femmes, les autres pensionnaires. Le père qui s’en va refait l’univers qui l’entoure.
C’est plus un univers visuel que du théâtre proprement dit.
Plus qu’un spectacle abouti, car éclaté dans trop de scènes, il s’agit le plus souvent de tableaux souvent fascinants et bouleversants. Et c’est déjà beaucoup sur un sujet si difficile et angoissant. Et il restera dans la mémoire des scènes chocs et intenses, d’autres moments creux.
Mais la merveilleuse figure de Leo nous étreint longtemps.
Gil Pressnitzer
photos @ Herman Sorgeloos