J’ai vu le film « Un Français » le 8 mai. J’ai interviewé son réalisateur le jour même, le journaliste Guy Birenbaum deux jours après. Si je devais poser mes questions aujourd’hui, elles seraient les mêmes.
Ma chronique du film « Un Français » est ici.
Ma rencontre avec l’actrice Jeanne Rosa ici.
Rencontre avec Diastème, réalisateur du film « Un Français »
Combien de temps a duré l’écriture du scénario ?
Environ cinq mois. Trente ans de vie d’adulte et cinq mois.
Tu as écrit le scénario suite à la mort de Clément Méric. Or, le film s’arrête à la Manif pour tous, avant son décès. Pourquoi ?
La mort de Clément Méric a été, chez moi, un déclencheur. J’ai pensé que le film devait commencer avec Touche pas à mon pote, et finir avec la Manif pour tous. Je trouvais ça symptomatiquement fort.
Comment s’est fait le choix des faits réels (skins, FN, bloc identitaire) que l’on reconnait sur les 30 ans ? (lien récapitulatif en mini image , cliquez dessus pour qu’il soit lisible)
J’ai très vite décidé que les « faits réels » ne devaient pas prendre le pas sur le récit, c’est le parcours de mon personnage qui a décidé des faits choisis, pas l’inverse – sachant, en plus, que je voulais réécrire ces faits, ce n’est pas un documentaire, mais une fiction.
Si tu savais que ton film partirait de Touche pas à mon pote pour s’arrêter à la Manif pour tous, savais-tu dès le départ de l’écriture la fin qui attendait ton héros ?
De la même manière, j’ai eu dans la construction l’idée de la fin très vite, une espèce de « happy end » dramatique. Il se débarrasse de la violence et de la haine, oui, il devient quelqu’un d’autre, oui, mais tout ne va pas être simple pour lui, loin de là.
T’es-tu freiné, ou censuré à l’écriture, genre « cette scène ne passera pas auprès d’un producteur, ou d’un distributeur » ?
Non. Il n’y avait d’aucune manière chez moi l’envie de provoquer, d’être dans l’excès. Je voulais juste raconter cette histoire, l’histoire de cet homme, que je trouve exemplaire. Partir d’aussi loin dans la haine et la violence, et arriver à s’en débarrasser totalement est à mon sens une histoire exemplaire. Des parcours comme celui de Marco existent, et je trouvais important, aujourd’hui, dans ce climat si haineux, d’en mettre un en lumière.
Le journaliste Guy Birenbaum est remercié au générique de fin. On connait son travail sur le FN. L’as-tu consulté à ce sujet ?
C’est un ami, et je lui ai donc fait lire une des premières versions du scénario. Il a corrigé quelques détails historiques dans le texte. Comme il connaissait bien cette période, j’avais besoin de son adoubement. C’est un sujet sensible, je ne voulais pas laisser passer la moindre petite erreur.
Dès l’écriture, savais-tu que tu tournerais en plans-séquences ou cela se décide-t-il après ?
Non, dès l’écriture. Je voulais que l’on accompagne mon personnage dans une vingtaine de moments de sa vie, que l’on soit toujours avec lui, qu’on ne le quitte pas, comme une caméra embarquée, que l’on ressente ce qu’il ressent.
As-tu écrit le scénario en ayant un casting en tête ?
Il y avait cette idée, dès le départ, de possiblement faire un film « sans vedette »,comme dans les films anglais que nous aimons beaucoup avec mon producteur Philippe Lioret – lequel d’ailleurs, et c’est très rare, m’a encouragé dans ce sens. Nous avons fait un grand casting, en voyant beaucoup de comédiens, et nous avons tout simplement pris ceux que je considérais comme les meilleurs pour les rôles, ceux qui correspondaient le mieux à ce que j’avais en tête en écrivant.
As-tu hésité à intervertir le casting entre Alban Lenoir et Paul Hamy ?
Pas vraiment, non. Mais c’est vrai que j’ai aussi fait passer les essais de Grand-Guy à Alban, cela fait partie, parfois, des étapes du casting. Il l’a moyen vécu, mais je savais déjà qu’il ferait Marco et Paul Grand-Guy.
Certains acteurs ont-ils eu peur du film ? ou ont-ils refusé le casting ?
Un seul. Qui a décliné après la première étape du casting. Je ne dirai évidemment pas qui. Mais c’est un choix que je respecte.
Où a eu lieu le tournage ?
A Paris, dans de nombreuses villes de banlieue parisienne, au Cirque de Navacelles, et en Guadeloupe, évidemment.
Est-ce toi qui cadres ?
Non. C’est mon chef opérateur, Philippe Guilbert, qui avait fait mon film précédent.
Étais-tu assis sur une chaise, loin au combo ?
Très peu. La caméra est souvent en mouvement, et moi je suis, je cours derrière, avec mon petit retour autour du cou et mon casque sur les oreilles.
Combien de temps a duré le tournage ? As-tu hésité à tourner de façon chronologique ou d’emblée, tu savais que le tournage se déroulerait à l’envers ?
Nous avons tourné sept semaines. J’ai hésité, parce que c’est toujours beaucoup plus compliqué de tourner à l’envers, on ne sait jamais, en termes d’émotion, où l’on se situe exactement. Du coup il faut anticiper, prévoir plusieurs couleurs selon les prises pour ne pas se retrouver coincé au montage. Mais le film se passant sur 28 ans, j’avais besoin d’une évolution physique chez les personnages et je savais qu’il n’y avait que dans ce sens que je pouvais y arriver sans utiliser des subterfuges qui sont rédhibitoires chez moi, à savoir postiches, fausses-moustaches, etc. Alban a donc pris et perdu 15 kilos pour le rôle, ce qui fait un peu deniroesque, mais ce qui n’est vraiment pas rien. Samuel, Paul, Olivier et Jeanne ont eux aussi pas mal souffert.
Tous les plans-séquences sont-ils de vrais plans-séquences ?
Oui madame.
Parlons photographie : hormis le travail en plan-séquence et de suivre au plus près Marco, quelles autres indications as-tu données à Philippe Guilbert ? Dans le film L’affaire SK1 qui se passe sur plusieurs années, avec des va-et-vient dans le temps, en plus des éléments de déco, ils ont travaillé l’image en post production pour que le grain de l’image suive l’évolution de la pellicule, de l’argentique au numérique. Y as-tu songé ?
Oui, j’y ai pensé très rapidement, mais je trouvais ça assez ridicule, très démonstratif – je ne voulais pas que le film ait l’air d’un faux documentaire. Quant au choix du filmage, je voyais dès l’écriture un format scope (nous sommes clairement dans du cinéma), avec une image très désaturée, et des objectifs 40 et 50 mm (je crois que Philippe n’a utilisé qu’une fois un 35). Pas de plans d’establishment, pas de plans de coupe, pas d’inserts. Si tu veux d’autres détails sur la forme, à l’exception de deux petits bouts de plans où nous avons utilisé une voiture travelling, le film entier a été tourné à l’épaule (et le travail de Philippe Guilbert, qui cadre, est à mon sens exceptionnel), et nous avons tourné avec une Sony F-55, dont les qualités de grain et d’exposition m’ont sauté aux yeux aux essais-caméra, puis plus tard à l’étalonnage. C’était la première fois que je tournais entièrement en numérique (à l’exception d’un clip que j’avais réalisé), et j’avoue que mes réticences ont été assez vite balayées – d’autant qu’avec des plans de près de dix minutes, il nous était techniquement impossible de tourner en argentique.
Les scènes de baston sont éprouvantes à voir. Comment ont-elles été préparées ?
Elles ont été très éprouvantes à préparer aussi, mais il fallait malheureusement qu’elles soient éprouvantes à l’écran – même si je n’ai, en tant que spectateur, aucun goût pour la violence. D’autant que je voulais que certaines soient filmées en plans-séquences, ce qui ne se fait jamais, ce qui n’est pas dans les codes du « film de baston ». J’ai eu la chance d’avoir un formidable régleur cascades, Manu Lanzi. Tout le monde a beaucoup travaillé, dans le même sens, et – à l’exception de petits bobos – il n’y a eu aucun blessé, ce qui était ma hantise pendant le tournage.
Concrètement une scène de baston en plan-séquence nécessite combien de temps de répétition ? et combien de prises ?
Beaucoup de répétitions,et le moins de prises possibles, puisque les comédiens sont également des êtres humains ! D’autant que, pour certaines, il y avait également des effets spéciaux à inclure – que je ne dévoilerai pas. Donc un gros travail en amont, avec toutes les équipes, et en moyenne une quinzaine de prises, que je coupais très vite dès que quelque chose n’allait pas pour qu’ils s’épuisent le moins possible.
Question naïve : doit-on demander l’autorisation à Jean-Pierre Foucault, Julien Clerc et Gérard Louvin pour utiliser l’extrait qu’on voit de Sacré Soirée ? As-tu eu des difficultés pour l’utilisation de certains documents d’archive ?
Oui, au cinéma, tout est devenu même assez dingue, on doit demander des autorisations pour tout, on doit payer pour tout ! Mais cela, globalement, s’est bien passé. A part avec la FIFA, mais j’ai décidé de ne plus jamais prononcer le mot « FIFA » !
Y a-t-il eu des soucis durant le tournage ? Plus globalement, comment était l’ambiance sur le tournage ? Surtout qu’il s’est terminé par les scènes les plus dures.
Nous n’avons eu aucun problème pour tourner ce film. Et l’ambiance, aussi sympathique sur le plateau fut-elle, était surtout très studieuse. On ne tourne pas ce genre de scènes en se tapant sur le bide. On est concentré, on fait attention à ce qu’on fait. Cela est très borderline, on sait qu’on touche à des choses délicates. En tant que metteur en scène, j’ai eu parfois conscience, oui, d’atteindre les limites de ce qu’il était possible de filmer. Mais je suis quelqu’un de très respectueux, quand j’écris et quand je tourne, il n’y a aucune caricature, aucune envie de charger qui que ce soit, j’essaie de comprendre mes personnages, quels qu’ils soient, et de les traiter le plus justement possible. Comprendre, évidemment, ce n’est pas excuser. Mais ça, c’est mon métier d’auteur. Etre le plus honnête possible. À la réalisation, j’essaie de faire de même, dans le jeu évidemment, mais aussi dans les costumes, dans les décors, dans les coiffures, etc.
Dès l’écriture, savais-tu que le film serait sans date à l’écran ?
Non. Même si je ne pensais pas forcément que les dates (de 1985 à 2013) qui étaient présentes dans le scénario allaient être incrustées à l’écran. J’espérais que le film n’en aurait pas besoin – c’est aussi pour cela que nous avons mis pas mal de références à l’image (journaux télé, affiches, etc) pour pouvoir s’en passer sans perdre le spectateur.
La part du film qui se décide au montage ? La manifestation sur de la musique classique avec les sifflets fait son petit effet…
Le peu de petites choses que nous avons rajoutées au tournage ont été étrangement coupées au montage. Mais je n’ai coupé aucune séquence. Ce que j’avais écrit, nous l’avons tourné, et c’est le film. Nous avons juste, comme pour tous les films, taillé ici ou là, pour que le récit reste droit et en l’air, qu’il avance. Et je savais, dès le début également, qu’il n’y aurait pas de musique, sinon à l’intérieur des scènes. J’avais prévu un seul effet, cette musique sur le défilé. Et par bonheur, cela, je crois, marche.
Combien de temps a duré le montage ?
Nous avons monté environ deux mois.
C’est court, vivent les plans-séquences !
Exact.
La scène la plus dure à tourner ? la scène dont tu es le plus fier ?
La scène la plus dure à tourner a sûrement été celle du concert, ce plan-séquence de sept ou huit minutes avec une centaine de figurants, des musiciens qui jouent en live, une énorme baston, des coups de feu, etc. J’en suis évidemment très fier. Mais je suis fier aussi de scènes plus calmes (enfin…), comme le discours de Braguette, la scène de prison avec Grand-Guy, celle de l’hôpital avec Marvin et Kiki, et celle en Guadeloupe entre Marc et Corinne.
Après, plus simplement, ce petit moment où, à la fin, Alban met ses lunettes pour regarder le reportage à la télé sur la Manif pour tous me bouleverse.
Tu ne juges jamais aucun de tes personnages, quelle que soit son opinion. Ça se bosse à l’écriture, c’est ton boulot, et tu le fais bien, y a pas photo. Il y a une phrase très dure à l’enterrement « c’est pas la peine, y a personne » alors que si, il est là. Comment fais-tu pour ne jamais tomber dans le pathos ?
C’est gentil, mais c’est mon métier. Et, comme tout le monde, j’espère faire de mieux en mieux mon métier. J’apprends au fil des livres, des pièces, des films, je continue d’apprendre.
C’est la première fois, à mon sens, qu’on filme en France le parcours d’un mec skin, front national , de l’intérieur. Est-ce qu’Un Français a été dur à présenter au producteur ? au distributeur ? aux exploitants ?
Non, il a bizarrement été très facile à produire, même j’avais fait en sorte qu’il ne coûte pas trop cher. Très vite nous avons eu l’avance sur recettes, Canal+, France 3 et Mars Films. Les gens nous ont suivis sur le scénario. Quant aux exploitants, je ne sais pas, bien qu’ils aient l’air jusqu’ici de l’aimer. Ce n’est pas un film haineux, bien au contraire, et il n’est en rien provocant. C’est une fiction, avec des personnages de fiction, inspirés de faits réels, dont les gens de mon âge se souviennent. C’est un film de cinéma, pas un documentaire politique.
Bon, le truc qui m’énerve maintenant : je lis des comparaisons avec American History X, qui en plus d’être mauvais, n’a rien à voir avec ton propos, et quitte à comparer, j’ai en tête évidemment Les Fils de l’homme, et dans une moindre mesure Suzanne – pas pour l’hommage au gang des postiches -, pour la durée, les ellipses et l’absence de ton moralisateur. Avais-tu des références, à suivre ou à éviter ?
Les Fils de l’homme c’est gentil, mais on n’en est pas à ce niveau-là non plus, on n’a pas les mêmes moyens. Mais c’est vrai que je l’ai montré à mon équipe avant le tournage en leur disant qu’il fallait qu’on fasse mieux que ça !!! Ils m’ont regardé un peu inquiets… La référence contraire était bien sûr American History X, soit dit sans être méchant, car c’est un film que je n’aime pas, ni dans le fond ni dans la forme. Sinon j’avais évidemment en tête Made in Britain, et This is England, que j’avais vus il y a longtemps, mais je ne les ai pas revus. Je ne voulais pas de références, en fait.
Un mot sur l’affiche ?
Je voulais une affiche douce, pas provocante, celle-là est belle et simple, un peu à la Clint Eastwood.
Que devient ton livre qui avait un sujet semblable à ton film ?
Le livre, je ne l’ai pas repris. Je l’ai laissé où il était, et je pense le laisser en cet état d’ébauche quelques années encore. Cette histoire m’a quand même pris deux ans de ma vie, je compte maintenant passer à autre chose.
Quels sont tes projets ?
Je tourne un nouveau film le 21 juillet, le contraire absolu d’Un Français, une comédie, avec des personnages drôles et gentils, en vacances. Et pour tout dire, j’ai assez hâte.
Blague : qui a eu l’idée d’utiliser le wilhelm scream ?
C’est mon monteur son Thomas Lefèvre, la seule petite blague du tout le film !!!
Propos recueillis le 8 mai 2015.
Depuis Diastème s’est exprimé sur les avant-premières de son film sur son blog
le 25 mai avec son billet « Un Français (4) »
le 26 mai avec son billet « Un Français (5) »
le 31 mai avec son billet « Un Français (6) »
« Un Français » de Diastème, drame, 1h38, sortie nationale le 10 juin
Avec Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy, Olivier Chenille, Jeanne Rosa, Patrick Pineau, Lucie Debay
Questions au journaliste Guy Birenbaum
En quoi votre regard d’adoubeur historique de scénario fictionnel a-t-il consisté ?
Mon rôle a été très limité. Diastème m’a fait lire son scénario, développé et dialogué. Je suis intervenu concernant le Front national notamment pour que les slogans ou affiches, voire le vocabulaire utilisé « collent » bien à l’époque évoquée, qu’il n’y ait pas d’anachronisme. En tout et pour tout je pense que je n’ai dû faire qu’une remarque judicieuse à Diastème qui avait parfaitement préparé son film à partir d’archives.
Qu’avez-vous pensez du scénario à sa lecture ?
Très réaliste et bien dans l’époque.
Quelque chose à rajouter ?
Je n’ai pas encore vu le film et je suis impatient de voir comment Diastème a traité le sujet sachant que peu de films français réussissent à avoir une dimension politique.
Propos recueillis le 10 mai.
Guy Birenbaum a un blog http://guybirenbaum.com/, allez y faire un tour !