« La tête haute », un film d’Emmanuelle Bercot
« L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et sil elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer »
Le dernier opus de cette réalisatrice signe assurément son entrée dans la cour des grands du 7ème art, non pas que ce soit son premier film, loin s’en faut, mais c’est certainement celui qui est le mieux maîtrisé. D’ailleurs il a été choisi pour faire l’ouverture du Festival de Cannes 2015 en Sélection officielle Hors Compétition. Donnons un court instant la parole à Emmanuelle Bercot : L’intérêt pour moi n’est jamais tant dans le fait de raconter des histoires que dans la volonté de décrire des états, d’exacerber des perceptions. Tout est dit dans cette phrase et sa filmographie confirme bien ses propos en même temps qu’elle ancre ses scénarios dans des rapports sociaux individuels tourmentés. Ainsi, dès 1999 et dans un moyen métrage (La Puce), il est question de la première expérience sexuelle entre une adolescente et un homme d’âge mûr. En 2001, le premier long (Clément) évoque en détail une aventure sentimentale entre une trentenaire et un gamin de 13 ans. En 2005, Backstage traite d’une relation trouble entre une star de la chanson et une de ses jeunes fans. En 2009 et pour la télévision, il est question, avec Mes chères études, d’une étudiante qui se prostitue pour payer ses cours. En 2009 elle participe à l’écriture du scénario de Polisse où elle joue d’ailleurs une policière de la brigade de protection des mineurs… Après Elle s’en va, déjà avec Catherine Deneuve en 2012, elle revient à ses premières amours avec ce dernier opus. Il s’agit ici de suivre l’adolescence d’un gamin, de 13 à 19 ans, malmené par la vie, par un père absent, une mère droguée. Il s’appelle Malony, une boule de rage dans l’estomac, il affronte notre société avec une haine incroyable. De petits délits en grande délinquance, il finit dans le bureau d’une juge pour enfants. Rejeté par sa mère, Séverine, qui ne sait quoi faire de ses deux marmots, Malony va connaître le circuit habituel dans son cas d’espèce jusqu’à la case prison. Mais deux personnes veillent sur lui : la juge et son éducateur, Yann. Pour lui aussi la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Ce film nous met sur les pas de Malony, jusque dans ses moments les plus intimes. Se gardant de toute prise de position, il dépeint le quotidien de toutes ces personnes qui entourent ces jeunes gens en crise. Dieu, quel dévouement ! Quelle vocation et quelle abnégation. Sans parler du courage. Il le dépeint avec d’autant plus de précision et d’authenticité que l’oncle de la réalisatrice lui a ouvert, il y a quelques années, les portes du camp de délinquants dont il avait la charge en Bretagne. Ce fut pour Emmanuelle Bercot comme une révélation au point qu’elle souhaita alors être juge pour enfants. L’histoire s’est écrite autrement.
Superbement réalisé et monté, ce film de 2h02 (un peu long sur la fin…) met en scène, et de quelle manière, un casting renversant de profondeur. Bien sûr il y a et il y aura toujours, quoi qu’elle fasse, Catherine Deneuve, qui fut préférée ici à Gérard Depardieu dans le rôle du Juge. L’option est plus que payante car, encore une fois, elle irradie une puissance en même temps qu’une féminité et un regard maternel sans équivalents. Benoît Magimel est ce Yann formidablement émouvant et vrai, tout comme la Séverine de Sara Forestier. Et puis, somptueuse découverte issue d’un casting sauvage, un jeune homme de 19 ans, repéré dans un atelier où il prépare (préparait…) un CAP de menuiserie. Il s’appelle Rod Paradot, n’avait jamais vu une caméra de sa vie et nous flanque un Malony magistral, ramassis de violence, de rage, de désespoir, de besoin d’amour. A couper le souffle. Dire qu’il a une « gueule » tient de l’euphémisme, tant il capte immédiatement l’image et l’attention. Il est phénoménal d’explosion, pathétique dans sa quête et possède une capacité sans limite pour s’attirer l’empathie du public. Bravo à Elsa Pharaon pour l’avoir découvert et deviné en lui ses possibilités. D’autant que ce film n’est pas spécialement dans l’action, toujours plus facile que l’introspection, mais dans les regards que s’échangent les protagonistes. Ils valent tous les dialogues.
A voir impérativement et rendez-vous l’an prochain aux Césars.
Robert Pénavayre