Trois jours pour tout régler : vendre la maison, gérer la paperasse, accepter la mort de son père, savoir si un avenir avec un ex est encore possible. Si faire le deuil d’un être cher est déjà une épreuve, peut-on faire le deuil de quelqu’un quand il n’est pas mort ?
Eléonore, dit Léo (Emma de Caunes) doit se rentre en Bretagne pour s’occuper de la maison de son père récemment décédé. Elle demande à Samuel (Yannick Renier) son ancien amoureux, aujourd’hui en couple avec Laure (Gaëlle Bona), de l’accompagner, le temps d’un week-end.
Olivier Jahan évite le huis-clos des deux ex obligés de cohabiter le temps d’un week-end. Tout d’abord, en situant certaines scènes à l’extérieur de cette maison où leur passé et les amertumes les submergent. Quitte à tourner en Bretagne, cela aurait été dommage de ne pas en filmer les différents paysages, aussi changeants que l’humeur de Léo. Puis grâce à Claire, agent immobilier, interprétée par Jeanne Rosa.
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L’arrivée de ce troisième personnage principal le deuxième jour ne gâche en rien l’empathie déjà installée pour Emma de Caunes et Yannick Renier, pour ce couple qu’on aimerait voir se reformer. Il ne suffit pas que le rôle soit bien écrit, encore faut-il une actrice qui arrive à nous émouvoir, avec qui on ait envie de faire des apartés. Ceux qui ont déjà vu Jeanne Rosa au théâtre savent qu’elle a ce talent : assez solide pour être seule en scène avec un unique monologue, assez subtile pour que les décalages dont peut faire preuve son personnage ne soient jamais source de moquerie, que les maladresses ne puissent jamais être confondues avec de la méchanceté.
Avec un débit de paroles qui ferait passer Joe Pesci pour un muet, la performance de Jeanne Rosa est d’une sincérité touchante. Et quand elle ne parle pas, comme dans la dernière scène où elle apparaît, elle est tout simplement désarmante. Si cette scène ne vous émeut pas, allez consulter un cardiologue.
Un des premiers aspects par lequel Les Châteaux de sable se démarque des autres films est qu’il est très écrit, très littéraire. Le co-scénariste avec qui a travaillé Olivier Jahan, c’est pas un manchot, puisqu’il s’agit de Diastème. Il vise toujours le cœur, et atteint une fois de plus sa cible avec adresse. Sans se répéter, on reconnaît ses idées, -comme le « on ne devrait épouser que les gens avec qui on dort bien »-, dans les dialogues, ou quand les acteurs s’adressent directement aux spectateurs face caméra, ou encore grâce aux voix off.
Les quelques lignes de voix off de Bird People m’avaient prodigieusement gonflée, car elles n’apportaient rien à ce qui se déroulait sous mes yeux. Soit Pascale Ferran sous-estimait la compréhension du spectateur, soit elle pensait que le jeu de son acteur n’était pas assez bon, soit elle avait perdu un pari et était obligée de caser Mathieu Amalric… Aucune de ces hypothèses n’a trouvé grâce à mes yeux. Ici, les voix off sont comme les descriptions non-dialoguées d’un roman. Le style de Diastème est reconnaissable : le mariage toujours réussi de la crudité avec la délicatesse. Léo et Samuel sont faillibles, et on reconnaît en eux ce qu’on a de plus laid, sans détourner les yeux. Les dialogues n’édulcorent en rien les rancoeurs, ni les coups bas entre ces deux-là, qui gardent encore le magnétisme des amants qu’ils étaient. La générosité des mots de Diastème permet à l’auto-dérision et à un humour piquant de s’inviter délicieusement dans la gravité d’un deuil et d’une dépression.
Aux différentes voix, -dialogues, face caméra ou off-, s’ajoutent aussi les flash-back et l’utilisation de photos. Eléonore et son père (Alain Chamfort) sont tous deux photographes. Leurs photos, telles des instantanées de vie en noir et blanc, jalonnent le film en plein écran. Elles sont du photographe Frédéric Stucin. Les Toulousains ont pu voir son travail lors du Festival des Amateurs de Photo en septembre dernier, son site avec les photos du film est ici. Le plus remarquable est que cette somme inhabituelle de dispositifs ne nous assomme à aucun moment. Le montage de Jean-Baptiste Beaudoin assure une fluidité constante du récit. Les morceaux de Patrick Watson accompagnent cette écriture romanesque, sans l’encombrer, sans pathos.
Trois jours pour tout régler : être fixé, faire cohabiter désirs et angoisses, découvrir ce qu’on l’autre cachait, accepter ce que l’on sait, remuer ce qu’il faudrait oublier, arrêter de se mentir. Olivier Jahan autorise le rire à tutoyer la mélancolie et la douleur. Si ses multiples teintes rendent difficile à genrer Les Châteaux de sable qui nous surprend constamment, elles lui confèrent un charme rare, et un indéfectible rangement dans la catégorie « Grande Réussite ».
Les Chateaux de sable, film français réalisé par Olivier Jahan
Avec : Emma de Caunes, Yannick Renier, Jeanne Rosa, Alain Chamfort…
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h42min
Date de sortie : 1 avril 2015