De passage sur les planches du Théâtre Sorano de Toulouse, un inoubliable « Murmures des Murs » de Victoria Thierrée-Chaplin, avec Aurélia Thierrée.
Emballages en charpie, cartons fatigués, tout-venant de greniers abandonnés, tous ces petits bouts de riens qui nous parlent de nous.
Trois mots à peine, charriés sur un flow de plastiques, quelques accents de hanches, une course obstinée et ses grands yeux,
Bon Dieu, les yeux tout le temps grands ouverts d’Aurélia.
Dessinés par sa mère, avec les crayons du grand-père.
Bon sang de Chaplin ! C’est si beau, c’est si pur, lorsque la lignée remonte ainsi l’Helicon du génome burlesque, explore les premiers pas de bateleur et les songes profonds du père fondateur. Il en perle encore la poésie, cette essence du drame et de la comédie. Une presqu’abstraction qu’un petit ‘Charlot’ a conjuguée à tous les temps du rire et des larmes, jusqu’à décrocher la tendresse universelle.
Fini les superproductions hollywoodiennes : retour aux planches brutes, à la poussière des hangars-ateliers, aux courants d’air sur les décors de chiffon et de papier. Théâtre pauvre, qui plante sans honte devant le néoclassique prétentieux des colonnes du Théâtre Soranole gros camion saltimbanque du Cirque Invisible familial.
Ses acteurs-acrobates ont malaxé leur corps dans de longs mano a mano avec le langage premier de la scène : la posture, le geste et le placement dans la lumière. De ces épures, de la connaissance des ressorts nus de la suggestion, naît la puissance de la représentation. Un cirque de paillettes s’était perdu dans la performance, la parade, l’exotisme, galvaudait l’héritage de la magie ? Voici le Nouveau Cirque.
« … Une femme fuit. Elle escalade des façades d’immeubles abandonnés, pénètre dans des appartements vides et se trouve plongée dans des histoires, des bribes de vie qui ne sont pas les siennes… » La course folle d’Aurélia traverse des immeubles floutés, échappe à d’inquiétants aides-soignants, s’étourdit dans les bras d’un danseur, tente de reprendre souffle et raison en s’affairant à de dérisoires rangements, replonge dans des vagues textiles, toujours au bord de perdre pied. De cette histoire qui n’existe pas on ne perd pourtant aucune miette. Et si l’on cherche un continuum, il est dans le mouvement perpétuel, l’art de la transformation, et l’intensité de l’instant. Le fil d’Ariane de tous les rêves, n’est-ce pas …
Dans Murmures des murs, Victoria Thiérrée–Chaplin conçoit et donne une forme physique à des états d’âme, à des émotions indicibles. Celles d’Aurélia, chevauchant ses propres démons. Celles aussi de mémoires oubliées dont les murmures vivent encore dans les murs de maisons vides, comme la roche aquifère retient l’eau des pluies, pour la rendre un jour aux ruisseaux.
En quelques cycles de cette altération des consciences naît un océan d’eaux profondes. A la surface de ses vagues affleure alors, pour qui veut la ressentir, l’étrange continuité entre cet apparent chaos et la subjectivité du rêveur qui s’y plonge.
Œuvrer dans l’illusion subtile, escamoter le grand cirque des conventions, embarquer le spectateur-acteur jusqu’à résonner dans son intime fantasmagorie.
Offrir du rêve éveillé est bien le spectacle ultime.
Pierre DAVID
un article du blog La Maison Jaune
La voix d’Aurélia, ici:
Pour en savoir plus, croiser les regards, écouter d’autres cordes sensibles, allez donc lire le billet de l’ami John Lavoignat sur ces délicieux Murmures … partagés.