Voici le compte-rendu de notre rencontre, à Robert Penavayre et à moi-même, avec l’acteur Pierre Niney et le réalisateur Yann Gozlan pour la sortie le 18 mars du très réussi film « Un Homme idéal »
Carine : Au début du film, la scène où Mathieu est au téléphone avec l’éditeur (première scène de la bande annonce) est très courte et très révélatrice : elle montre son côté déterminé et autodestructeur, et nous permet surtout d’avoir très vite de l’empathie pour lui puisqu’il s’acharne à demander conseil auprès de l’éditeur qui l’a refusé…
Yann Gozlan : Complètement. C’est même une discussion qu’on a eue avec Pierre. Au départ, cette scène n’était pas autant développée comme elle l’est aujourd’hui. Dès le début mon obsession était qu’on ait de l’empathie, qu’on ne soit pas à l’extérieur de ce personnage. Je voulais qu’on comprenne ce qui l’habite, ce qui le motive. Cette scène, je la voulais presque pathétique : il est là, je ne veux pas qu’on se moque de lui, mais il est limite ridicule, il s’accroche aux branches désespérément. On dirait quelqu’un qui se noie, et ça le rend effectivement touchant. Je ne cache pas que c’était important pour moi de montrer qu’il est ambitieux : il veut briller, il a soif de reconnaissance, et pour autant il a un amour sincère de la littérature.
Robert : Votre film revisite le mythe faustien, et semble avoir été fait pour amener à cette scène finale.
Yann Gozlan : Tout à fait, c’est un mythe faustien. Le personnage vole donc ce manuscrit qu’il n’a pas écrit, et à partir de là, il va être damné. Je n’y vais pas avec le dos de la cuillère pour symboliser ce pacte avec le diable dans la scène où il brûle le manuscrit, avec ces flammes.
Quant à la fin, cela me touche beaucoup ce que vous dites. Je ne l’ai pas eue en tête tout de suite, mais dès que cela a été clair, c’est devenu pour moi une obsession. Il va vivre un périple pour essayer de préserver son secret et à la fin (pour lire la suite qui en révèle trop sur l’intrigue du film, passer votre souris sur la partie blanche) il n’a plus d’identité car il est mort aux yeux de tous et il a écrit un roman. On ne sait pas s’il a de la valeur ou pas ; moi j’aimerais croire qu’il a réussi à sortir quelque chose d’intéressant et qu’il a progressé. Il ne pourra pas jouir de ce moment-là, ça lui est interdit. Et s’ajoute à cela le fait qu’il ne pourra pas rejoindre la femme qu’il aime. La damnation est là. C’était important que le héros paye, que cette fin soit plus tragique que la mort. L’amour qu’il a pour le personnage d’Ana Girardot, Alice, devait, selon moi, être sincère. En fait il est aliéné dans le regard des autres : il est prêt à disparaître pour qu’elle conserve l’image intacte d’un homme idéal de ce personnage talentueux. Il devient un fantôme à la fin. J’espère que le film est crédible, réaliste.
Robert : Ce qui empêche Mathieu de se mélanger à sa belle-famille, en plus de la différence sociale, est cette maison. Elle est vivante et nocive…
Yann Gozlan : Je suis très content si vous avez ressenti cela car c’était une volonté de ma part de la mettre en scène comme un personnage.
Pierre Niney : Chaque pièce teste son instinct de survie.
Carine : Tout le film est du point de vue subjectif de Mathieu, sauf la scène où Stanislas fouille sa chambre. Avez-vous hésité à tourner cette scène ?
Yann Gozlan : Oui. Même si je brise peut-être la grammaire du film, je me dis que c’était bénéfique. J’étais obsédé par l’idée de créer une tension pour qu’on soit pris dans le film. Je pense que ce montage alterné y participe.
Carine : Dans le film, il est dit « parait que le deuxième, c’est toujours le plus dur, tu dois avoir la pression, non ? ». C’est aussi votre second long-métrage. Le fait de vous être entouré de la même équipe technique, – co-scénariste, monteur, assistant réalisateur -, permet-il de baisser la pression ?
Yann Gozlan : au script aussi. J’ai retravaillé avec ces gens-là parce qu’on se comprend bien, et puis un tournage c’est compliqué dans le sens où vous n’avez pas tout le temps que vous souhaitez, donc ne pas avoir besoin de trop se parler pour se comprendre est un avantage. Ce sont des gens formidables qui me secondent. Le montage est une étape cruciale par exemple, – j’enfonce des portes ouvertes en disant ça -, car on réécrit le film. Vous vous retrouverez en salle de montage, avec vos rushes, ça peut être un peu violent, donc il faut vraiment quelqu’un de confiance et avec lequel on est sur la même longueur d’onde parce qu’on a l’impression de se foutre à poil.
Carine : Avec vos deux courts et votre précédent film, il y avait des récurrences. Donc premièrement, pourquoi avoir quitté le monde médical ?
Yann Gozlan : Je vais y revenir (rires)
Carine : Et deuxièmement, on retrouve des scènes, encore une fois très réussies d’hallucinations/rêves éveillés/cauchemars. Quel plaisir prenez-vous à les tourner ?
Yann Gozlan : En fait ce sont ces scènes que je préfère, je fais du cinéma pur. Sur ce film-là, j’ai une petite frustration, je pense que j’aurais dû aller plus loin, développer davantage l’aspect psychotique du personnage, de faire plus de scènes, partir plus loin là-dedans. Je ne sais pas d’où vient ce plaisir mais j’ai l’impression que c’est du cinéma pur, c’est de l’ambiance, que c’est de l’image, du son, ça revient un peu plus de l’aspect médical dont vous parliez aussi.
Carine : Quelle a été votre scène la plus dure à jouer et à réaliser ?
Pierre Niney : Celle que j’avais demandé à refaire et que je trouvais importante est le choc que Mathieu ressent, après l’altercation avec Stanislas, (pour lire la suite qui en révèle trop sur l’intrigue du film, passer votre souris sur la partie blanche) quand il réalise qu’il l’a tué. Involontairement ou volontairement on ne sait pas, mais c’était le choc de comprendre qu’il est vraiment mort. Je sais la réponse que va vous donner Yann (rires des deux)…
Yann Gozlan : Sans doute celle avec le chien, c’était un enfer. Ne jamais travailler avec des animaux, règle numéro 1. C’est frustrant parce que Pierre et Ana sont supers dans la séquence et j’aurais aimé faire plus de prises sur eux, en variant les angles. Et là, j’ai vraiment deux plans, un champ-contrechamp assez simple. La prochaine fois, j’anticiperai les choses. Après, quand Pierre se frappe contre la vitre de la voiture, c’était une scène vraiment intense, importante, pas compliquée à filmer mais j’imagine dure pour Pierre.
Pierre Niney : Oui, c’était physique. J’avais un espèce de bleu vraiment énorme, un œdème au coude parce que je tapais avec le coude.
Carine : Pour « J’aime regarder les filles », vous aviez déclaré que la maniaquerie du réalisateur sur le tournage vous avait directement inspiré pour la scène où votre personnage devait ranger les livres. En plus de votre préparation en amont, Yann vous a-t-il inspiré lui aussi durant le tournage ?
Pierre Niney : C’est une bonne question. Je crois que quand des réalisateurs ont vraiment un film en eux, intrinsèquement il y a des choses que l’on peut leur prendre et leur voler parce qu’à un endroit ou à un autre, ça parle d’eux. Ce n’est pas forcément le rôle que tu joues mais il se trouve qu’il y avait des choses de Frédéric Louf dans « J’aime regarder les films » et là aussi, il y avait de Yann pour « Un Homme idéal ». Cela m’est arrivé notamment pour la scène où je mets un coup de poing dans cette vitre, et elle se fend ce qui n’était pas du tout prévu. On était au 18ème étage, c’était devenu une affaire d’Etat parce qu’on avait peur que le verre tombe sur des gens, c’était devenu une galère pas possible, on a arrêté le tournage pendant un an (rires). Je plaisante bien sûr. Sur cette scène-là, je sentais Yann dans une énergie et il avait besoin d’un truc en plus. Je pense que des énergies instinctives passent, sans qu’on se parle. Quand Yann cherche des idées sur le plateau, ou qu’il y a un truc qui ne lui plait pas, il est capable de tourner en rond, et tu sens que physiquement il a un truc animal. J’ai pris des choses de ça. On était content de cette scène après, on avait mis le doigt sur un aspect qui nous parlait à tous les deux : moi parce que Yann m’avait beaucoup parlé du rôle, et lui parce que quelque part, c’est une facette de lui dans ce personnage.
Carine : Est-ce dur de proposer actuellement aux distributeurs un thriller psychologique français ?
Yann Gozlan : Il y en a peu dans le marché aujourd’hui. Ce n’est pas forcément un genre qui va rencontrer le succès de nos jours. J’ai besoin de faire les choses auxquelles je crois, donc je ne peux pas faire autrement que de réaliser un film qui me correspond et me plait. J’ai été nourri d’Hitchcock, j’aime la tension, le suspense au cinéma, j’aime créer une atmosphère. On a essuyé des refus mais Mars était présent très tôt.
Pierre Niney : On est quand même très très bien entouré sur ce film, avec des jeunes producteurs qui connaissent bien le travail de Yann. Je pense que c’était les meilleures personnes pour l’accompagner et Mars est un des meilleurs distributeurs français, la qualité du scénario a séduit très vite les gens.
Robert : Quels sont vos projets ?
Pierre Niney : J’ai tourné un premier film en anglais avec Antonio Banderas et Golshifteh Farahani, il y a quelques mois qui s’appelle « Altamira » réalisé par Hugh Hudson qui avait fait « Les Chariots de feu ». J’étais super content de jouer en anglais alors pourquoi pas le refaire sur d’autres projets. Je tourne une comédie dans quelques mois à Paris, « Five », de mon co-auteur sur la série « Casting(s) », Igor Gotesman. Ce sera son premier long-métrage, une sorte de « Péril jeune » qui rencontrait une comédie d’action de Guy Ritchie. Un « Péril jeune » modernisé, avec des jeunes d’aujourd’hui, qui peut être un très beau film sur l’amitié et la jeunesse je crois. Ensuite, je vais jouer dans l’adaptation de « La Promesse de l’aube » de Romain Gary, avec Audrey Tatou.
Yann Gozlan : Je travaille sur deux projets de scénarios.
Ci-dessous, l’émission « Tous Cinéma » du 28/11/2014, spéciale tournage « Altamira »
Carine : Question qui peut fâcher, ou pas : avez-vous vu le film « The Words » ?
Yann Gozlan : Je ne l’ai pas vu, mais on m’en a effectivement parlé (rires)
Carine : Il y a quand même des ressemblances assez troublantes sur le synopsis…
Yann Gozlan : On m’a parlé du point de départ où il vole un manuscrit…
Carine : Il ne le vole pas, il le trouve, comme Mathieu.
Yann Gozlan : Mais il me semble que les deux films sont totalement différents même dans le récit, Mathieu est dans la psychose, (pour lire la suite qui en révèle trop sur l’intrigue du film, passer votre souris sur la partie blanche) il devient criminel.
Carine : Tout à fait, mais les grandes lignes de départ sont les mêmes : il n’arrive pas à être publié, -mais lui car il a trop de talent, qu’il ne rentrerait dans aucune case littéraire-, il se retrouve avec un manuscrit entre les mains, -durant son voyage de noces en France, sa femme lui offre une sacoche chez un antiquaire, et de retour sur le sol américain, il découvre qu’elle contient un manuscrit-, il retape le manuscrit et le signe, et devient lui aussi numéro 1 des ventes de façon fulgurante. Voilà pourquoi en lisant le synopsis de « Un Homme idéal », j’ai pensé au film « The Words ». Le manuscrit parle lui aussi de la guerre, la seconde guerre mondiale du point de vue d’un Américain à Paris pour « The Words » et la guerre d’Algérie pour « un Homme idéal ». Et l’écrivain rencontre lui aussi quelqu’un qui sait qu’il y a usurpation d’identité. L’identité est aussi un des sujets du film. Mais je suis d’accord avec vous, ce n’est pas le même film que le vôtre, ni dans le registre, ni dans la forme narrative où « The Words » utilise des récits imbriqués. « The Words » est même diamétralement l’opposé de « Un Homme idéal » à partir du moment où le héros sait que son secret est connu, et les fins sont de nouveau semblables. Les affiches aussi sont très similaires. Qui a eu l’idée de la vôtre ?
Yann Gozlan : le distributeur. (NDLR : une personne de Mars étant avec nous me dit qu’elle ne connaissait pas le film « The Words »).
Carine : Dernière question : dans votre court-métrage « Pellis », la personne hospitalisée ressemble beaucoup à Christopher Lee. Pure coïncidence ou hommage ?
Yann Gozlan : (rires) Pure coïncidence que Bernard Musson lui ressemble.
Merci à David Epstein du Gaumont Wilson de Toulouse, ainsi qu’à Yann GOZLAN, Pierre Niney et « la personne de Mars » pour leur gentillesse et leur disponibilité.
Merci aussi à l’équipe de « Thé ou Café » pour cette agréable rencontre.